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On a vu que la propagande grundtvigienne avait obtenu quelques succès en Norvège. Des hautes écoles y ont été fondées au nombre de dix à douze. En Suède, on en compte seulement deux ou trois, en Scanie, ancienne province danoise, dont Copenhague est dans une certaine mesure la métropole intellectuelle ; mais jusqu’à présent c’est seulement en Danemark que les hautes écoles de paysans, par le nombre des élèves qui les fréquentent, peuvent exercer une influence réelle sur la nation. Elles sont au nombre de soixante pour le moins ; 2,500 élèves les fréquentent chaque hiver et retournent ensuite dans leurs familles empressés à propager les idées dont ils sont imbus. De toutes les créations de Grundtvig, c’est la plus féconde et la plus prospère. L’état en a si bien compris l’utilité qu’il partage entre elles une subvention de 11,000 rigsdalers, — somme du reste peu en rapport avec l’état de choses actuel. Et les adversaires de Grundtvig se sont empressés d’établir des écoles du même genre pour prêcher leurs théories athées et socialistes : il en existe quelques-unes en Jutland créées par le démagogue Björnback d’Aarhuus. Toutefois, si le principe des hautes écoles est universellement loué, il n’en est pas de même de toutes les conséquences pratiques de l’enseignement grundtvigien. À ce sujet, les hommes modérés qui savent rendre justice à Grundtvig, tout en ne partageant pas ses idées, ne dissimulent pas leurs appréhensions. Ils craignent que) les résultats ne soient pas au niveau du zèle et du dévoûment des pieux grundtvigiens qui ont voué leur vie entière à la grande cause de l’éducation nationale. Au point de vue patriotique, les avantages des folkhöjskoler ne sauraient être contestés ; elles ont grandement contribué à répandre l’amour de la patrie dans le peuple des campagnes. Sous le rapport moral et religieux, il n’y a pas lieu non plus de ménager les éloges : quelque opinion que l’on ait sur la valeur intrinsèque de la doctrine, on ne peut nier que les idées religieuses et morales qui ont cours dans l’enseignement grundtvigien ne soient saines, larges, tolérantes, de nature à élever la moralité publique. C’est un danger d’un tout autre genre que des esprits clairvoyans ont signalé. Beaucoup d’élèves des hautes écoles, une fois revenus chez eux, passent pour des savans et se persuadent aisément qu’ils le sont en effet. L’ambition s’empare d’eux. Pourquoi ne joueraient-ils pas un rôle dans les conseils de la commune ou de la province ? Pourquoi même, avec un peu de bonheur, n’arriveraient-ils pas à siéger un jour au parlement ? Les députés Termansen et Dinesen n’étaient-ils pas de simples paysans et élèves des hautes écoles du peuple ?

L’ambition n’est pas condamnable chez celui qui peut occuper dignement la place à laquelle il aspire ; mais il n’en est point ainsi dans l’espèce. Des paysans qui ont pendant quelques mois chanté