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Danois et Norvégiens étaient émerveillés de « l’incomparable découverte, » de la parole vivante et de la lettre morte ; les Suédois ne comprenaient pas.

Ainsi, malgré ses prétentions à concilier toutes les sectes chrétiennes, malgré les aspirations scandinavistes qui lui faisaient toujours placer la patrie Scandinave à côté et parfois même au-dessus de la patrie danoise, Grundtvig fit mentir le proverbe que nul n’est prophète en son pays, et ne put réussir au dehors. Esprit essentiellement danois, il ne put être compris que des Danois. Si les Norvégiens ont favorablement accueilli ses idées, c’est que leur pays, sous le rapport intellectuel, n’a pas encore secoué le joug de l’ancienne métropole. On conçoit du reste que dans le grundtvigianisme la religion et la patrie se trouvant intimement mêlées, la doctrine ne put être adoptée que par ceux entre lesquels la communauté d’origine et d’histoire a formé le lien puissant de l’amour de la même patrie. — Les grundtvigiens en effet professent un attachement profond pour les habitudes et coutumes nationales : ils se tiennent en méfiance contre les modes étrangères, les usages cosmopolites qui tendent de notre temps à uniformiser toute l’Europe. On les reconnaît au dehors à leurs vêtemens sombres, d’une simplicité puritaine. Ceux de la campagne conservent volontiers, — les femmes surtout, — les costumes locaux, que les autres abandonnent. Chez eux, ils mènent une vie patriarcale, dont la douce monotonie n’est interrompue que par les prières, les pieuses lectures, les chants religieux. Il nous a été donné quelquefois de nous mêler pendant quelques heures à ces paisibles existences, de prendre part à ces repas en famille précédés et suivis de prières à haute voix, et après lesquels le père donne le baiser de paix à sa femme et à ses enfans. Une bien touchante impression nous en est restée. Quant au culte extérieur, les grundtvigiens, le plus souvent dispersés dans les paroisses officielles de l’église établie, se conforment au culte national et suivent les mêmes exercices religieux que les luthériens orthodoxes. Il n’existe qu’un nombre fort limité de paroisses purement grundtvigiennes, celle de Vartou par exemple à Copenhague, où le pasteur Brandt continue l’œuvre du maître. En province, six églises de ce genre ont été construites aux frais des fidèles, qui les entretiennent et paient eux-mêmes les pasteurs : la plus importante est à Rysslinge en Fionie, non loin de Nyborg. Ceux qui visitent ces églises, même les adversaires décidés, ne peuvent se défendre d’admiration devant la foi et la piété des assistans. Nulle part les offices ne sont plus régulièrement et plus attentivement suivis. En même temps il règne parmi les fidèles une sorte de gaîté qu’en pays protestant l’on est peu accoutumé à rencontrer. Le culte protestant est d’ordinaire triste, sévère, froid. Rien de