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de ses amis, resta simple spectateur. Deux de ses lieutenans, Siemousen et Lindberg, plus grundtvigiens que lui-même, rédigèrent une pétition qu’un marchand de savon et un cordonnier se chargèrent de présenter au roi : on demandait l’autorisation d’établir une paroisse indépendante à la fois danoise et allemande, car les grundtvigiens comptaient alors, paraît-il, des Allemands dans leurs rangs. — La pétition fut repoussée comme contraire aux lois ecclésiastiques du royaume, et jamais aucune autre démarche ne fut tentée dans le même sens. On ne songea plus dès lors à sortir de l’église officielle, on se contenta d’en élargir la constitution, d’en rendre les règles assez élastiques pour qu’elle devînt habitable pour les dissidens et que les orthodoxes rigoureux y pussent demeurer côte à côte avec les rationalistes avancés. Grundtvig, qui s’était posé en champion de l’église établie, en vint à réclamer la séparation de l’église et de l’état, ou tout au moins la liberté religieuse. Ce changement de front coïncida avec sa conversion aux idées libérales et constitutionnelles en matière politique. Il sentait d’ailleurs qu’il ne pouvait que gagner à la liberté depuis que son grand ennemi, le rationalisme théologique de Clausen, était en décadence. De plus il était sûr de l’appui de la couronne. Le roi Frédéric VI avait été son ami dévoué, et Charles VIII, qui monta sur le trône en 1839, s’il n’était pas absolument d’accord avec lui sur « l’incomparable découverte, » lui témoignait plus de sympathie encore que son prédécesseur.

Le premier acte d’hostilité de Grundtvig contre l’église danoise remonte à 1835. Celui qui dix ans auparavant avait rompu des lances pour le maintien du rituel et des formulaires orthodoxes présenta aux états-généraux une pétition dont l’objet était d’autoriser les fidèles à recevoir les sacremens de n’importe quel pasteur du royaume, au lieu de les recevoir forcément du desservant de la paroisse à laquelle ils appartenaient. Une demande de cette nature avait une portée considérable. Il ne faut pas oublier que dans les pays luthériens, comme en Angleterre, l’église établie est un pouvoir civil aussi puissant que l’église romaine ne l’a jamais été : on ne repoussait le credo de l’église catholique que pour admettre les XXXVII articles de la reine Elisabeth, ou telle autre regula fidei aussi absolue et aussi inattaquable. Consentir à ce que demandait Grundtvig, c’était détruire l’unité de foi en reconnaissant officiellement qu’il y avait dans le royaume des hommes qui ne partageaient pas les opinions de leur pasteur. Sa demande fut donc rejetée ; mais quelques années plus tard il obtint une satisfaction partielle : une ordonnance du roi autorisa les fidèles à recevoir la confirmation d’un pasteur étranger à leur paroisse, moyennant une permission du ministre, permission qui ne devait jamais être refusée. Ce