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comparaisons le fortifiaient dans la foi chrétienne. « Tu es chrétien, dit-il à son père dans une pièce de vers qu’il lui dédie, et tu suis avec joie les traces de la Divinité sur la terre. Moi, quoique chrétien, je contemple les antiques dieux du Nord et par eux j’ai reconnu, avant que le Christ eût été envoyé aux hommes, que le monde ne pouvait être sauvé que par lui. »

Tel était l’état d’esprit de Grundtvig quand parut son premier grand ouvrage en vers, les Scènes de la vie héroïque dans le Nord, publiées quelques mois après sa Mythologie. Sous ce titre, il voulut donner à ses compatriotes une peinture à la fois poétique et dramatique de la vie des anciens Scandinaves, au temps du paganisme et au temps où les deux religions luttaient avant la victoire définitive du Christ. C’est à la tragédie des Grecs qu’on peut le mieux comparer les dialogues héroïques de Grundtvig, et, bien qu’on ne trouve pas chez lui cette beauté en quelque sorte plastique du fond et de la forme qui a été de tout temps le propre des races gréco-latines, le poète danois fait parfois songer à Eschyle par la vigueur du style et l’étrangeté souvent grandiose des images. Il eût voulu faire revivre tout le passé héroïque du Nord dans un vaste cycle poétique. Comme Œhlenschläger, dans Balder ou dans Hakon Jarl, comme la plupart des poètes danois de la même époque, il exploitait avec enthousiasme les filons nouveaux que les archéologues et les historiens, avaient mis à jour dans les antiquités nationales. Son projet, trop vaste pour être mené à bonne fin, ne reçut d’autre commencement d’exécution que les Scènes de la vie héroïque, qui sont restées son chef-d’œuvre. C’est là que les éminentes qualités de Grundtvig prennent le plus puissant essor. Le poète semble planer au-dessus des terribles événemens qu’il décrit ; on sent que vainqueurs et vaincus, chrétiens et païens, lui sont également chers, et l’on ne peut se défendre de l’impression de grandeur et de sérénité qu’exhale l’âme du barde, confondant tous ses héros divers dans un égal amour. Emporté par son sujet, il s’élève au-dessus de lui-même : il sait éviter les obscurités de langage, les comparaisons peu exactes, malheureusement trop fréquentes dans ses autres écrits, et sans effort l’expression se met au niveau de la pensée.

Lorsqu’il publia cet ouvrage, Grundtvig, quoiqu’ayant achevé ses études de théologie, était resté dans la vie laïque ; il enseignait l’histoire dans un collège de Copenhague. C’est seulement en 1810 qu’il entra dans les ordres. Son père, très âgé alors, ne pouvait plus porter seul le fardeau de sa charge, et le réclama comme coadjuteur dans sa cure d’Udby. Grundtvig dut quitter Copenhague, où son nom était déjà célèbre, pour remplir les modestes fonctions d’un vicaire de campagne. Le Danemark est, comme la France,