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supprimer la guerre, ferait croire que la concurrence vitale, le struggle for life, du philosophe anglais, est, non pas seulement le lot des êtres individuels, mais aussi de ces êtres collectifs qu’on nomme des nations.

Les études d’histoire furent la principale occupation de Grundtvig pendant qu’il suivait à Copenhague les cours de la faculté de théologie : comme il le dit lui-même, « il parcourut sans foi la carrière académique. » Ses pensées étaient ailleurs. Le grand mouvement de recherches historiques qui se manifesta dans toute l’Europe au commencement de notre siècle naissait alors en Danemark. L’impulsion était donnée par une pléiade de savans, dont Finn Magnussen est demeuré le plus célèbre : on fouillait les bibliothèques de Norvége et d’Islande pour découvrir les vieux manuscrits qui pourrissaient dans l’oubli, les eddas étaient traduites et commentées, les sagas revoyaient la lumière, les gracieuses chansons du moyen âge, les poétiques kaempeviser étaient publiées : en même temps on commençait à collectionner tous les souvenirs des siècles passés, à classer les débris de l’industrie des ancêtres pour former les musées qui font aujourd’hui l’admiration des voyageurs. Grundtvig se lança ardemment dans cette voie ; mais jamais chez lui la pure érudition n’étouffa le sens poétique : il sut être à la fois, chose rare, un poète et un savant.

Le premier ouvrage de longue haleine qui sortit de sa plume est la Mythologie du Nord, publiée en 1808. Le sujet avait alors un mérite de nouveauté qu’il n’a plus aujourd’hui. L’imagination puissante et enthousiaste de l’auteur, jointe à sa profonde érudition, produisirent une vive impression sur le public lettré. Grundtvig alors était presqu’un adorateur des dieux barbares de l’ancienne Scandinavie, Odin, Thor et Freya, la trinité du Nord, disputaient la place au Christ dans son esprit exalté. Plus tard la réaction se fit, et à peu près comme son cher peuple scandinave, avec lequel il s’identifiait par la force de l’imagination, il descendit des hauteurs brumeuses de la Walhalia, pour revenir au culte de Jésus. Cependant jamais il ne se dépouilla de son amour pour les dieux du nord : il se plaisait à mêler leurs noms à ses ballades et à ses odes, même à ses pièces religieuses. Et c’étaient pour lui non point des métaphores de style, comme les dieux de l’Olympe pour nos poètes, mais de grandes figures qu’il aimait à évoquer sous sa plume parce qu’elles avaient conservé une sorte de réalité dans son esprit. Il rapprochait volontiers les deux églises ; il comparait les mythes nationaux aux traditions chrétiennes, semblable à ces missionnaires qui, pour convaincre plus facilement les sauvages qu’ils évangélisent, essaient de leur faire considérer le christianisme comme une simple réforme de leurs grossières croyances. Il semble même que ces