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de folie : « Soyez tranquille, mon cher ami, le monde sera bientôt convaincu, non-seulement qu’il n’y a pas, mais qu’il n’y a jamais eu de motifs aux rapports qu’on fait circuler avec tant de malveillance. » Cette lettre est du 11 décembre 1785 ; le 21 décembre, le prince de Galles épousait Mme Fitz-Herbert. Le mariage avait été célébré secrètement par un ministre de l’église anglicane. Plus d’une année après, le bruit de cette aventure s’était répandu, un orateur y fit allusion à la chambre des communes. Une circonstance particulière ajoutait encore à la gravité de l’accusation ; Mme Fitz-Herbert était catholique romaine. On comprend tout ce qu’il y avait là d’irrégularités réunies dans un seul fait, et combien le prince, ami des whigs, donnait de prise aux attaques des tories. Fox, croyant le prince guéri de sa passion, persuadé d’ailleurs que ses adversaires politiques obéissent en cette affaire à des sentimens perfides, et que la rumeur dont il s’agit se rapporte à une histoire ancienne, se lève pour le défendre. Il nie absolument l’acte qu’on a dénoncé par allusion, il le nie en fait comme en droit, il affirme non-seulement qu’un tel acte serait impossible aux yeux de la loi, par conséquent nul et non avenu, mais qu’en fait il n’a pas eu lieu. Cependant est-ce lui qui parle ? est-ce le prince ? En matière si grave, il faut des réponses concluantes. Pressé de questions sur ce point, Fox déclare qu’il est autorisé directement à tenir le langage qu’on vient d’entendre ; ce prétendu mariage secret, il l’affirme, est une invention calomnieuse.

C’est dans la séance du 30 avril 1787 que Fox fit cette déclaration aux communes. Le jour même, le prince de Galles avait une entrevue avec lord Grey, et le suppliait de faire au parlement une déclaration contraire à celle de Fox. « Il était horriblement agité, » dit lord Grey. On le croira sans peine, à moins d’admettre que le prince avait perdu toute pudeur. Il venait de tromper Fox, il l’avait amené à faire devant le parlement une déclaration inexacte, il l’avait exposé à passer pour le complice de ses mensonges ; il priait maintenant lord Grey de l’aider à tromper Mme Fitz-Herbert. Est-il nécessaire de dire que lord Grey s’y refusa d’une façon péremptoire ? Sir George Cornewall Lewis, chancelier de l’échiquier sous le ministère Palmerston, à qui nous empruntons quelques-uns de ces détails, résume avec précision cet imbroglio de fourberies. « On ne saurait, dit-il, concevoir une position plus humiliante et plus déshonorante que celle où le prince se trouvait alors, niant son mariage à Fox, l’avouant à Grey, et niant sa dénégation à Mme Fitz-Herbert, le traitant de fiction avec le premier, de nullité avec le second, de réalité avec la troisième. »

Nous n’avons pas à raconter ici la fin des aventures de Mme Fitz-Herbert.