Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 13.djvu/480

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

très haute et sérénissime approbation, rédige une musique d’ailleurs fort honnête. Arrive alors le Faust du prince Radzivil, création hybride tenant le milieu entre l’oratorio et l’opéra, et pour laquelle Goethe, qui estimait trop la faveur des princes pour ne pas aimer aussi quelquefois leur musique, daigna scander et rimer deux chœurs nouveaux. A cette partition intéressante succéda celle de Lindpaintner, maître de chapelle à Stuttgart, beaucoup de bruit, de cantilènes, de fantasmagorie ; italianisme et sentimentalisme ; nous approchons, on le voit, de M. Gounod. Laissons cependant passer auparavant le Faust de Spohr, œuvre virile et géniale qui précéda de plusieurs années le Freyschütz de Weber et donna la note et la couleur à l’opéra romantique allemand. En France, nous avons la Damnation de Faust, une symphonie dramatique plus que jamais en honneur dans les concerts, et comme opéra le Faust de Mlle Bertin, représenté jadis au Théâtre-Italien, et le Faust de M. Gounod. Tout cela promet pour l’avenir, et si, par la consommation dans le passé, nous jugeons de la consommation dans le futur, si nous songeons qu’une composition de la valeur du Faust de Spohr est aujourd’hui complètement oubliée même des Allemands, nous pouvons nous demander ce que sera dans un demi-siècle la diablerie florianesque de M. Gounod quand dix ou quinze autres Faust auront passé par-dessus.

Revenons à Schumann. Sa musique, œuvre organique s’il en fut, embrasse les deux parties du poème, et se donne bien garde de négliger pour des illustrations et le tableau de genre ce grand sens caractéristique, cet esprit de réflexion, de critique et de coordination qui fait du poème de Goethe un pendant à la Divine Comédie. Il va sans dire que notre intention ne saurait être d’étudier ici dans ses détails cette musique. Nous avons pour cela de. bonnes raisons, et la meilleure est que nous ne l’avons pas entendue. Nous ne pouvons aujourd’hui qu’en signaler l’existence à la Société des concerts, dont nous aimerions à provoquer la généreuse initiative. On cite comme un chef-d’œuvre l’épilogue dans le ciel et toute la scène qui précède. « La scène des anachorètes, écrit M. Ambros, un des plus vaillans esthéticiens de l’Allemagne, n’est point simplement une des meilleures productions de Schumann, c’est une des plus belles choses de la musique moderne. Le paysage en est un vrai Poussin, vous plongez dans la profondeur crépusculaire de ces bois flottans ; que la musique puisse agir ainsi pittoresquement par la seule évocation d’un sentiment analogue, on l’imagine à peine. Le Père extatique, le Père profond, à la voix grave et méditative, le Père angélique, — amour et mansuétude, — le docteur Marianus, — béatitude, illuminisme, — les chœurs des anges, des bienheureux enfans, des pécheresses auxquelles vient se joindre Marguerite : una pœnitentium, — tout cela d’un rendu, d’un