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n’a pas bien réfléchi ; il n’a point évidemment bien pesé toutes les conséquences de l’initiative qu’il prenait, de l’acte dont il acceptait la responsabilité dans les circonstances où nous sommes. Il n’a pas vu qu’après tout les choses ne pouvaient se passer ainsi, que la démission de M. Léon Say ne pouvait rester une affaire personnelle, qu’elle prenait un caractère essentiellement grave par cela même qu’elle était le dénoûment d’un conflit entre deux politiques, et que la retraite de M. le ministre des financés entraînerait sans doute la démission de quelques autres membres du cabinet, notamment de M. le garde des sceaux. C’est ce qui est arrivé en effet. Dès qu’il a connu la situation, M. Dufaure n’a point hésité, paraît-il, à déclarer qu’il partageait les idées de M. Léon Say et qu’il se retirerait avec lui. S’il y a eu des insistances pour retenir M. le garde des sceaux, pour modifier sa résolution, elles ont échoué, elles devaient échouer devant la droiture, devant la raison prévoyante de l’homme public, et on peut ajouter que, selon toute vraisemblance, M. Dufaure ne se serait pas retiré seul avec M. Léon Say ; d’autres démissions se seraient inévitablement produites. Ce n’est pas tout enfin : il y a une dernière et plus grave conséquence que M. le vice-président du conseil n’a du entrevoir qu’assez confusément d’abord, c’est que des changemens aussi sérieux ne pouvaient s’accomplir avec cette facilité au milieu de l’indifférence publique. La commission de permanence se serait réunie le lendemain, cela n’est pas douteux. L’assemblée elle-même aurait été infailliblement rappelée à Versailles, et elle serait revenue avec des dispositions certainement peu favorables à des délibérations calmes. Des débats irritans se seraient ravivés, des questions de gouvernement auraient été agitées, et tout cela en pleine période électorale ! C’était assurément une responsabilité des plus graves que prenait là M. le vice-président du conseil. Ce qu’il n’avait pas entrevu au premier moment, il a du le voir à mesure que la crise se déroulait ; il s’est arrêté, c’est ce qu’il pouvait faire de mieux. La réflexion, le sentiment des dangers qu’on allait braver si gratuitement, les interventions médiatrices, tout a contribué à tempérer les dissentimens et les incompatibilités. Les négociations ont recommencé, la question a cessé d’être personnelle pour redevenir simplement une question de direction générale dans la politique du gouvernement, et encore une fois l’esprit de transaction a prévalu. Tout a fini par une proclamation que M. le président de la république vient d’adresser aux Français, qui a été adoptée en commun par le cabinet tout entier, quoiqu’elle ne soit contresignée que par M. le vice-président du conseil.

Une proclamation de M. le président de la république exposant devant la France le programme électoral du gouvernement, c’est sans doute un procédé assez extraordinaire, un peu solennel et surtout peu conforme aux usages constitutionnels. C’est faire intervenir sans une nécessité bien évidente M. le maréchal de Mac-Mahon dans des débats