Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 13.djvu/469

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vement que jamais. Ce jour-là, elle s’est manifestée par un conflit direct entre M. le vice-président du conseil et M. le ministre des finances, ou plutôt par une tentative impatiente de M. Buffet pour placer M. Léon Say dans l’alternative de se soumettre à la politique du ministre de l’intérieur ou de donner sa démission.

De quoi donc M. Léon Say s’est-il rendu coupable ? M. le ministre des finances met, il est vrai, un peu moins de façons que M. le vice-président du conseil à prononcer le mot de république. Il est tout simplement constitutionnel sans arrière-pensée, sans promettre aux partisans de l’empire ou de la légitimité une révision favorable à leurs espérances. Il est candidat au sénat et il ne craint pas de se présenter aux électeurs de Seine-et-Oise en compagnie de M. Feray, qui est un grand manufacturier, membre du centre gauche, de M. Gilbert-Boucher, qui est un conseiller à la cour d’appel de Paris, un ministre pactisant avec le centre gauche et avec la gauche la plus modérée, voilà le crime, le scandale ! Voilà ce que le ministre de l’intérieur ne pouvait tolérer, et dans cette campagne engagée aussitôt contre M. Léon Say, M. le vice-président du conseil, il faut l’avouer, a eu la triste fortune d’être précédé par d’étranges hérauts d’armes qui se sont chargés de publier à leur manière, à coups de trompette, la déclaration de guerre. Oui, vraiment M. le vice-président du conseil a le malheur d’avoir autour de lui des collaborateurs ou des défenseurs bien compromettans, plus empressés à flatter ses passions qu’à servir son autorité morale. Que le chef du cabinet ait donné lui-même le mot d’ordre de l’attaque contre un de ses collègues, nous voulons en douter. C’est déjà bien assez que, par une coïncidence plus pénible pour M. le ministre de l’intérieur que pour M. le ministre des finances, des agressions de cette nature aient paru un seul instant avoir une importance, et qu’elles aient semblé être le préliminaire de la dernière crise. Toujours est-il que pour se trouver l’allié de radicaux tels que M. Feray et M. Gilbert-Boucher, M. Léon Say a passé un moment pour l’homme « aux méchans complaisant » de Molière, et on lui a demandé sa démission ou le désaveu de la liste sénatoriale sur laquelle il figure dans le département de Seine-et-Oise.

C’était bien simple en apparence : il n’y aurait qu’un changement, le cabinet resterait intact avec une politique plus nette, moins exposée aux interprétations contraires. Nul doute que M. le ministre de l’intérieur, en conseillant à M. le président de la république une telle démarche, n’ait cru faire un coup de maître, se délivrer d’un embarras et simplifier la situation du gouvernement. Assurément la difficulté n’était pas de demander à M. Léon Say sa démission, ni même de l’obtenir ; mais ce n’était là que le commencement, et on n’a pas tardé à s’en apercevoir. M. le vice-président du conseil en provoquant cette crise