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basque est profondément religieux ; il chôme les dimanches et fêtes, il a ses saints préférés, il se plaît comme un enfant aux pompes religieuses. De là l’influence dont jouit le clergé dans les trois provinces, influence exagérée peut-être et qui en tout cas n’a pas été toujours très heureuse. Un autre sentiment non moins profond occupe l’âme de ces montagnards : c’est l’amour du sol natal ; mais, tout attaché qu’il est à son village et à ses vallées, le Basque n’en est pas moins hardi, entreprenant, courageux ; qu’il se trouve trop à l’étroit avec ses frères au foyer paternel, il n’hésite pas à s’expatrier. Il n’ira point s’établir dans les provinces du milieu de l’Espagne, où se trouvent pourtant des déserts aussi fertiles que ceux du Nouveau-Monde, mais où il perdrait le bénéfice des fueros : l’exemption de l’impôt et de la conscription ; il se rendra au Mexique, au Brésil, au Pérou, et là il essaiera de faire fortune. Chaque année, plus d’un millier de jeunes gens s’embarquent ainsi par Bordeaux, Bayonne et les ports du nord de l’Espagne ; d’ailleurs il n’aurait garde d’oublier jamais sa patrie. Partout où se trouvent des Basques, riches ou pauvres, jeunes ou vieux, leur plus grand plaisir est de se réunir pour parler ensemble la noble langue des escaldunac, revêtir le costume national et faire ronfler le tambourin sur un air du pays. Après dix ans, vingt ans d’absence, lorsqu’il se croit suffisamment riche, notre homme s’empresse de réaliser son avoir et de rentrer au pays ; ne lui parlez point des villes et du bien-être qu’on y trouve ; à tout autre séjour il préfère encore le coin de terre où il est né ; puis comme avec tout son argent il ne pourrait acheter de nouvelles terres, — chaque famille, là-bas gardant religieusement les trois ou quatre arpens qu’elle possède, — sur l’emplacement de la demeure paternelle, il se fait construire un palais : ce n’est d’ordinaire qu’une maison plus vaste et plus massive que l’ancienne, ornée de peintures à l’extérieur. En même temps il se plaît à faire des fondations pieuses ou utiles, chapelles, écoles, hôpitaux ; au demeurant, il partage la vie de tout le monde autour de lui. Les voisins l’appellent el Indiano, l’Indien (pour le peuple, l’Amérique est l’Inde encore depuis Christophe Colomb), et l’on ne trouverait pas peut-être un village un peu important dans les provinces basques qui, ne contienne quelque famille désignée de ce nom. On voit d’ici la part d’imprévu qui se mêle à l’existence monotone du moindre paysan. Quelle surprise dans le village, quelle joie pour toute la famille à l’arrivée d’un de ces hardis colons qui souvent pendant des années entières n’ont pas donné de leurs nouvelles ! Aussi l’Indien tient-il une grande place dans les récits de Trueba ; il y joue le même rôle exactement que jouait autrefois l’oncle d’Amérique dans nos comédies. C’est le deus ex machina ; il arrive au bon moment les mains pleines de cet or qui même dans