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intérêt du texte, le transcrire fidèlement tel qu’on l’a recueilli des lèvres d’un narrateur illettré ? Faut-il au contraire n’y voir qu’un canevas dont le dessin n’a rien de définitif, et que l’on peut retoucher à sa guise au nom de la syntaxe et du bon goût ? Trueba s’est prononcé pour la dernière affirmation ; il laisse aux autres l’ambition de servir la science, et, quant à lui, ne se prive point de donner à des récits souvent informes et décousus un peu plus de vraisemblance et de correction. Du moins en toute occasion, et lors même qu’il écrit pour son propre compte, il s’attache à garder toujours ce style simple et uni, ces locutions rapides, ces idiotismes plus expressifs que relevés avec lesquels le peuple espagnol rend les idées les plus abstraites et explique les choses les plus compliquées. Est-ce à dire qu’il n’espère point trouver pour ses livres d’autres lecteurs que les gens du commun ? Loin de là, car, ainsi qu’il l’exprime fort bien, dans la vie de chaque jour, grands ou petits, riches ou pauvres, nous parlons tous indifféremment le langage du peuple. Donc s’adresser au peuple, c’est pouvoir être compris de tous, et le genre littéraire qui imite le fond et la forme, le sentiment et l’expression populaires, porte en lui-même la meilleure garantie de succès.

Le grand péril, en voulant rester naïf el familier, c’est de tomber dans le vulgaire : or Trueba y tombe quelquefois ; il est telle forme de langage, telle exclamation triviales qu’il eût pu sans grand dommage laisser à ceux qui s’en servent. Hâtons-nous d’ajouter que ces légères taches dans l’expression ne s’étendent jamais jusqu’à la pensée ; les contes de Trueba ont cela de commun avec sa poésie que l’inspiration en est toujours pure et élevée ; ce sont les mêmes préoccupations honnêtes, la même délicatesse de sentiment, le même choix des sujets, la même morale aimable et consolante, faite d’espoir et de résignation. « Partout il est resté l’adversaire de cette littérature pessimiste qui se complaît à présenter le monde comme un désert sans bornes, où il ne germe pas une fleur, et la vie comme une nuit sans fin, où il ne brille pas une étoile ; partout il a glorifié le bien, la vertu. » Ainsi disait-il dans la préface de ses premiers contes. Plus tard, l’horizon s’est encore assombri ; les déceptions et les misères l’ont éprouvé à nouveau, mais il a conservé inaltérés son courage et sa foi, et il s’écrie avec une véritable éloquence, faisant allusion aux âpres sentiers qui serpentent dans ses chères montagnes J « Non, pour moi, il n’y a pas de chemin pénible ou douloureux, que ce soit celui de mon village ou celui de la vie, car au bout de l’un est le foyer de mon enfance, au bout de l’autre est le ciel, et au bout de tous deux m’attendent des amis bien-aimés. »

Quelques-unes des scènes présentées par Trueba, les Contes champêtres par exemple, se passent en Castille, aux portes mêmes