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UN
CONTEUR ESPAGNOL

ANTONIO DE TRUEBA


I

C’est une justice à rendre aux auteurs espagnols en général, qu’ils s’attachent très sincèrement à écrire des œuvres honnêtes et qu’à défaut d’autre mérite ils auraient encore celui de dédaigner les succès de mauvais aloi : ils ne s’attardent pas de préférence à l’étude du vice et des laideurs sociales, et se gardent d’afficher une sorte d’indifférence esthétique entre le mal et le bien. Ces scrupules évidemment ne sauraient tenir lieu des qualités diverses qui font l’écrivain, et cependant qui pourrait dire tout ce que le talent lui-même y gagne d’autorité, de charme aussi et d’agrément ? Antonio de Trueba, conteur et poète, jouit par-delà les Pyrénées d’une véritable réputation : le peuple chante ses vers, et ses contes sont lus partout. Ce n’est pas qu’il se distingue par la grandeur des conceptions ou l’étendue des connaissances : tel autre aura peut-être l’imagination plus féconde, l’esprit plus fin, le tour plus vif et plus original ; en revanche, autant que personne, il a le cœur sensible et bon, et le meilleur de son œuvre est venu de là. Lointains souvenirs d’enfance, chansons d’attente ou de regrets, toutes ces pages, écrites sans prétention, respirent comme un parfum d’honnêteté qui séduit ; on se sent pris, sans y penser, à ce ton si simple et si naturel, à cette bonhomie charmante, à cette émotion pénétrante et douce que l’art n’imite pas, mais qui permet parfois de s’élever