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L’établissement du chemin de fer du Pacifique, qui court d’Omaha sur le Missouri à San-Francisco, à travers les prairies du Dakota, les Montagnes-Rocheuses, le Bassin-Intérieur, la Sierra-Nevada, la vallée du Sacramento, peut donner une idée de l’activité et de l’énergie surprenante que les Américains apportent dans la construction de leurs railroads. Décrété le 1er juillet 1862, en pleine guerre de sécession, par le président Lincoln, de la même plume qui allait abolir à tout jamais l’esclavage dans l’Union, le chemin de fer du Pacifique était achevé moins de sept ans après, à la stupéfaction de tous, et solennellement inauguré le 10 mai 1869. La longueur totale entre les deux stations extrêmes, Omaha et la ville de Sacramento, capitale de la Californie, est d’environ 2,800 kilomètres. Deux compagnies distinctes, le Central-Pacific, venant du Sacramento, et l’Union-Pacific, partie du Missouri, s’étaient formées pour la construction et l’exploitation de cette grande ligne, et avaient reçu du gouvernement fédéral des subventions de terres et d’argent. L’étendue totale des terres publiques concédées de part et d’autre de la voie atteignait 10 millions d’hectares, le cinquième de la superficie totale de la France. Les subventions, payées au fur et à mesure de l’avancement des travaux et variant suivant la nature des terrains traversés, s’élevaient dans l’ensemble à la somme de 250 millions de francs.

Les travaux, dès le début, avaient marché assez rapidement ; mais à la fin, une sorte de fièvre s’était emparée des deux compagnies, et peu s’en fallut que, dépassant la limite assignée à leur étendue respective, et qui était précisément le point où elles devaient se rencontrer, l’une venant de l’est, l’autre de l’ouest, elles ne poursuivissent chacune pour son compte leur route vers l’autre océan. Pour les faire se joindre, le gouvernement fédéral dut lui-même intervenir. Pendant les seize derniers mois de leur marche vertigineuse, elles avaient construit, chacune à peu près par moitié, 1,700 kilomètres, et il est probable qu’un pareil résultat ne sera jamais plus atteint par aucune compagnie. Celles-ci avaient devancé de sept ans la date réglementaire assignée à l’achèvement des travaux.

A plusieurs reprises, il nous a été donné de visiter les chantiers de cette ligne ferrée sans pareille. Au commencement du mois d’octobre 1867, allant dans le Colorado explorer les mines d’or et d’argent des Montagnes-Rocheuses, nous nous arrêtâmes à Julesburg, sur la Rivière-Plate. C’était alors le terme extrême de la voie ferrée du côté du Missouri. On était à 380 milles d’Omaha, point de départ. Julesburg, né la veille, étalait aux regards étonnés du touriste ses maisons de bois sans étages, ses bazars bruyans et son unique rue, large comme une place. C’était une ville troublée, tumultueuse,