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incohérente, en quelque sorte conçue par fragmens, dont les morceaux, pris isolément, donneraient l’idée d’une de ses plus belles pages.

La Trinité, avec son fameux Christ en raccourci, est un tableau de la première jeunesse de Rubens, antérieur à son voyage d’Italie. C’est un joli début, froid, mince, lisse et décoloré, qui déjà contient en germe son style quant à la forme humaine, son type quant aux visages, et déjà la souplesse de sa main. Toutes les autres qualités sont à naître, de sorte que, si le tableau gravé ressemble déjà beaucoup à Rubens, la peinture n’annonce presque rien de ce que Rubens doit être dix ans plus tard.

Son Christ à la paille, très célèbre, beaucoup trop célèbre, n’est pas beaucoup plus fort, ni plus riche, et ne paraît pas non plus sensiblement plus mûr, quoiqu’il appartienne à des années très postérieures. C’est également lisse, froid et mince. on y sent l’abus de la facilité, l’emploi d’une pratique courante qui n’a rien de rare, et dont la formule pourrait se dicter ainsi : un vaste frottis grisâtre, des tons de chair clairs et lustrés, beaucoup d’outremer dans la demi-teinte, un excès de vermillon dans les reflets, une peinture légère et de premier coup sur un dessin peu consistant. Tout cela est liquide, coulant, glissant et négligé. Lorsque dans ce genre cursif Rubens n’est pas très beau, il n’est plus beau. Quant à l’Incrédulité de saint Thomas (n° 307), je trouve dans mes notes cette courte et irrespectueuse observation : « cela un Rubens ? quelle erreur ! »

L’Éducation de la Vierge est la plus charmante fantaisie décorative qu’on puisse voir ; c’est un petit panneau d’oratoire ou d’appartement peint pour les yeux plus que pour l’esprit, mais d’une grâce, d’une tendresse et d’une richesse incomparable en ses douceurs. Un beau noir, un beau rouge et tout le reste en gris azuré, nuancé des tons changeans de la nacre ou de l’argent, et là dedans, comme deux fleurs, deux anges roses. Otez la figure de sainte Anne et celle de saint Joachim, ne conservez que la Vierge avec ces deux figures ailées qui pourraient aussi bien descendre de l’olympe que du paradis, et vous aurez un des plus délicieux portraits de femme que jamais Rubens ait conçus et historiés en portrait allégorique, et dont il ait fait un tableau d’autel.

La Vierge au perroquet sent l’Italie, rappelle Venise, et par la gamme, la puissance, le choix et la nature intrinsèque des couleurs, la qualité du fonds, l’arabesque même du tableau, le format de la toile, la coupé en carré, fait songer à un Palma trop peu sévère. C’est un beau tableau presque impersonnel. Je ne sais pourquoi j’imagine que Van-Dyck devait être tenté de s’en inspirer.

Je néglige la Sainte Catherine, un grand Christ en croix, une