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travail de l’homme devient nécessaire, c’est-à-dire à la récolte de la matière première, il faut payer par une soulte tout le travail étranger que représente chaque objet manufacturé. Ainsi le cuir sort de la république à l’état brut, paie dès droits de sortie, et représente environ une valeur de 35 francs par pièce de 40 livres ; de cuirs tannés ou travaillés, il n’en est pas question, et il faut recourir aux fabriques européennes pour fournir la consommation locale de cuirs, selles, chaussures, équipemens militaires, etc. La différence est plus sensible encore sur la laine, qui est expédiée à l’état brut, non lavée, chargée de 70 à 72 pour 100 d’impuretés, et qui revient après avoir été lavée, filée, tissée, teinte, confectionnée, plus-value considérable que lui aura donnée le travail fait à l’étranger et que le pays consommateur devra payer. C’est à ces causes qu’il faut attribuer la stagnation des affaires que dénonce la statistique officielle. L’exportation annuelle de la république argentine a été dans ces quatre dernières années de 41 millions de piastres fortes en 1871, de 46 en 1872, de 45 en 1873, de 43 en 1874, soit une moyenne annuelle de 43 millions 1/2 de piastres où 226 millions de francs. L’importation par contre a été de 47 millions en 1870, de 44 en 1871, de 59 en 1872, de 71 en 1873, de 49 en 1874, soit une moyenne de 54 millions de piastres ou 280 millions de francs : déficit total, 54 millions de francs chaque année. Ce déficit explique l’état de crise que traverse le pays aujourd’hui que, par suite de l’élan donné inconsidérément au crédit, l’état et les particuliers ont à payer en outre les intérêts des capitaux étrangers employés ou immobilisés dans les chemins de fer, les tramways, les travaux publics de toute nature, enfin les intérêts des emprunts, qui s’élèvent en capital à 354 millions de francs, et en intérêts à 28 millions.

Le mal serait moindre, si les emprunts, qui écrasent le contribuable, avaient du moins été employés à organiser l’outillage du pays ; c’est là malheureusement une préoccupation secondaire dont on a eu moins de souci que de se procurer à prix élevés toutes les aises, tous les luxes, tout le superflu de la civilisation européenne. Pour faire face à ces dépenses, il a fallu élever l’impôt jusqu’aux dernières limites du possible, et il a atteint cette année 206 francs par habitant dans la province de Buenos-Ayres, y compris 95 francs environ de droits de douane correspondant à 231 francs de produits d’importation que consomme en moyenne chaque habitant. Ces charges considérables ne produisent ni grandeur extérieure, ni progrès intérieur, et se gaspillent en dépenses administratives en disproportion avec l’exiguïté de la population et des ressources. Les gros budgets attirent les nombreux fonctionnaires et perpétuent