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France de 25 à 40 francs les 60 livres, poids moyen des cuirs de Buenos-Ayres ; celui de la viande salée, sans que de nouveaux débouchés se soient ouverts, s’est élevé de 15 à 25 francs le quintal. Il faut attribuer cette plus-value des produits de la pampa à la diminution de là production, motivée en partie par l’épizootie de 1873, mais surtout par la décadence manifeste de cette ancienne industrie. L’élevage des bêtes à cornes tend à disparaître dans la Plata, et bien des raisons contribuent à ce résultat. La guerre civile dans l’Entre-Rios a depuis quatre ans presque supprimé la production de cette province, la plus riche autrefois en bétail, et compromis l’avenir par la destruction des troupeaux ; la même chose peut se dire de la république de l’Uruguay, dont la campagne a été pillée tour à tour par chacun des partis qui divisent et ruinent ce malheureux pays. Dans la province de Buenos-Ayres, où la paix règne depuis quinze ans d’une manière presque continue, le mal n’est cependant pas moins profond ; l’abandon où les grands propriétaires laissent leurs estancias, confiées à des majordomes, commence à porter des fruits néfastes : pour profiter des hauts prix, ceux-ci ne se sont pas contentés de vendre les bœufs, ils ont sacrifié sans souci les vaches reproductrices qui, naturellement plus saines, engraissent rapidement et se vendent avec facilité pendant que le rebut du troupeau, composé de vaches maigres, ne trouve pas d’acheteur et occupe sans profit le terrain. Le majordome, intéressé à tirer de l’estancia des revenus abondans, sacrifie ainsi l’avenir au présent ; au bout de peu de temps, l’estancia, ruinée par ce procédé, ne produit plus rien, le troupeau disparaît, et l’estanciero, entraîné par l’exemple, remplace l’élève improductif de la bête à cornes par celui du mouton, qui lui donne des résultats immédiats, si bien que chaque jour l’exportation des cuirs et de la viande diminue, et que c’est à peine si cette année il a été exporté 500,000 cuirs de saladeros au lieu de 2 millions, chiffre de 1869.

Il est très important pour les états de la Plata de surveiller cette industrie, qui est, on peut le dire, spéciale au pays : l’Australie et le Cap de Bonne-Espérance produisent autant de laine que les états de la Plata, mais ne sauraient rivaliser avec eux pour l’élevage des bêtes à cornes. On peut malheureusement prévoir aujourd’hui la ruine prochaine de l’industrie pastorale, qu’un seul événement pourra sauver, comme le fit il y a un siècle l’introduction du procédé de conservation des viandes par le sel ; cet événement, depuis longtemps attendu et préparé, sera la découverte d’un moyen pratique de conservation de la viande à l’état frais et de son exportation pour les pays plus habités et moins favorisés ; mais il faudrait pour un péril imminent un remède prompt, et il est triste de dire