Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 13.djvu/323

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

colonies était la défense absolue d’exporter autre chose que de l’or. Le revenu des mines était divisé par tiers entre le roi d’Espagne, ses représentans dans le pays et le colon ; le tiers abandonné à celui-ci ne pouvait être employé par lui à autre chose qu’à payer les objets qu’il tirait de la métropole pour sa consommation. Gréer une industrie quelconque dans la colonie lui était défendu, améliorer son sort lui était impossible ; l’agriculture elle-même lui était interdite par des règlemens rigoureux.

Il semblerait que les provinces de la Plata eussent dû être exemptées de l’application de lois qui n’étaient pas faites pour elles ; Buenos-Ayres était en effet à 1,000 lieues des mines de Potosi, qui produisirent 4 milliards de francs en cinquante ans, et ce terrain d’alluvions ne dénonçait l’existence d’aucune mine d’or ou d’argent, la surface seule promettait au travail humain des richesses capables de faire une concurrence victorieuse aux mines les plus riches. Les rois d’Espagne n’en accumulèrent pas moins les prohibitions, essayant d’arrêter l’élan irrésistible de la production de la pampa ; mais ils pouvaient plus facilement condamner l’homme à l’oisiveté que la nature à l’inaction, et les colons voyaient leurs richesses se développer malgré la loi et pour ainsi dire malgré eux, sans emploi ni profit, ne leur apportant que le dégoût du travail. Comme si ces lois eussent été insuffisantes, l’Espagne alla jusqu’à créer une fiction géographique qui doublait la distance réelle entre les provinces de la Plata et la métropole. Placées en effet sur un grand fleuve, clé d’autres voies navigables qui descendaient des pays les plus riches de ce continent, situées sur l’Atlantique, presqu’en face de l’Espagne, les provinces de la Plata furent soumises dès l’origine à l’autorité administrative de la vice-royauté du Pérou, dont le siège était sur le Pacifique, et toute communication directe avec la métropole leur fut interdite ; privées du droit d’exporter, elles ne pouvaient rien recevoir que par cette voie détournée, ce qui imposait aux objets de consommation les frais d’un voyage de 1,000 lieues par terre, et des droits de 50 pour 100 au profit du roi et du vice-roi. L’estuaire de la Plata se trouvait, par le fait de cette législation illogique, être une sorte de porte fausse condamnée, semblable à celles que les architectes simulent sur les édifices pour la symétrie, mais qui ne servent à rien.

Cette législation, à peine améliorée de temps à autre, dura de 1580 à 1810 ; elle était aggravée par l’existence de monopoles de tout genre. Une sorte de ferme du commerce existait en effet à Séville sous le nom de casa de contratacion, réunissant entré ses mains la consommation et la production des pays d’outre-mer ; quelques maisons opulentes sous la surveillance des douanes de l’état,