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mourante des cierges, avait psalmodié les vigiles sans qu’on eût pu lire sur ces faces mystiques d’autres soucis que ceux du ciel. Nous nous étions couché à l’aube, et de bonne heure nous fûmes réveillé par le son des cloches. Nous nous préparions à assister à une nouvelle cérémonie, quand on nous avertit qu’elles appelaient les cénobites « dans leurs comices. » L’événement attendu depuis si longtemps, destiné à un si grand retentissement dans toute l’église orientale, et autour duquel gravitait tout ce qui restait de passions humaines aux religieux, s’accomplissait sous nos yeux sans qu’il nous fût possible d’en surprendre un indice. Aucun trouble inusité ne transpirait dans la gravité extérieure de la vie monacale, aucun bruit ne profanait le silence du cloître : à peine si quelques physionomies trahissaient une préoccupation nouvelle, si quelques chuchotemens s’échangeaient au coin des longs corridors, si quelque frère passait plus affairé. Un étranger non prévenu aurait cru que les moines se rendaient comme d’habitude à leur office. Et pourtant sous ce masque rigide on sentait plus de passion contenue, plus d’anxiété, plus d’espoir et de colère que dans toutes les agitations bruyantes de nos places publiques. Les Grecs avaient fermé le catholicon, dont ils sont maîtres, apposé les scellés sur la porte et protesté en se retirant dans leurs quartiers. Les Russes montèrent alors voter à leur chapelle, tout au haut du couvent : quelques instans après 400 voix avaient de nouveau appelé à l’igouménat l’archimandrite précédemment choisi dans leur sein. Le triomphe était aussi silencieux, aussi dissimulé que la lutte ; les visages se contractaient pour étouffer sous l’austérité habituelle la joie orgueilleuse qui rayonnait malgré eux.

Pour nous, spectateur désintéressé de ce drame muet, nous ne pouvions nous empêcher de sourire à la leçon philosophique qu’il nous donnait. Nous nous demandions si c’était bien la peine de s’enfermer dans un cloître à préparer sa tombe pour y porter les luttes politiques du forum ; sous la livrée du renoncement, sous la discipline de l’ascète, nous retrouvions l’homme avec les vanités, les passions, les misères inséparables de sa nature. — Une rencontre fortuite vint donner une portée plus haute encore à cette leçon. — Tandis qu’on nous racontait les résultats du vote, à un des balcons plongeant sur la cour inférieure, un mouvement inusité se produisit dans celle-ci ; les cloches s’ébranlèrent à lentes volées ; une procession de moines, la tête couverte du voile de deuil et tenant des cierges à la main, s’allongea sur le parvis en psalmodiant de tristes litanies. Toutes les pompes ont un caractère funèbre à l’Athos : dans notre ignorance des usages, nous crûmes qu’on célébrait l’intronisation du nouvel igoumène et nous nous préparions à le voir sortir