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vérité du décor, du costume, des accessoires et du jeu est irréprochable, mais où l’âme des acteurs n’est plus susceptible, — au même degré, — des passions qu’ils représentent. C’est néanmoins avec cette âme qu’il faut reconstruire celle des anêtres, pour ne pas s’écarter d’une loi historique hors de laquelle nous ne voyons pas de vérité. Sans doute les monumens que nous a légués l’Athos du moyen âge supposent une force créatrice absente aujourd’hui ; ceux qui ont réuni ces magnifiques bibliothèques lisaient et savaient ; ceux qui ont peint le christ de Karyès et les vierges de Dochareion avaient senti et souffert. La ferveur des premiers solitaires, le recrutement de ceux qui les suivirent dans les hautes régions de la société byzantine, les disgrâces éclatantes qui trempaient leurs cœurs avant de les mener au cloître, telles étaient les causes principales de leur supériorité intellectuelle et morale sur leurs successeurs ; mais dans le tour particulier de l’esprit, dans ses procédés, dans son idéal, il n’y a qu’une différence du plus au moins. Nous surprenons dans le berceau de l’institution le germe du mal qui la minera, nous le voyons suivre lentement son développement logique jusqu’à nos jours. Pourquoi ne ferions-nous pas pour les hommes ce que nous faisons pour leurs portraits, pour cette longue série de figures qui se déroule sur les murs des églises athonites et remonte sans interruption du copiste d’hier au grand Pansélinos ? — Les plus récentes comme les plus vieilles, à huit siècles de distance, ont même forme, même attitude, mêmes proportions, mêmes couleurs : on les confondrait au premier coup d’œil ; mais, en reprenant attentivement la série, on retrouve chaque jour la vigueur un peu plus accusée sous ces traits identiques ; c’est comme une âme éteinte qui se rallume insensiblement sans changer de corps. — Ainsi des modèles de ces peintures : pour voir nous apparaître les contemporains de saint Athanase et de saint Saba, prenons les nôtres, depuis les igoumènes des grands monastères jusqu’au pêcheur d’olives de Kapsokaliva : séparons les lignes antiques de la physionomie des rares retouches modernes, forçons les plans effacés, exagérons les reliefs en atténuant les ombres, soufflons à ces revenans l’idée ou la passion qui les fera se mouvoir naturellement dans le milieu tout préparé : c’est le travail relativement facile qui consiste à chercher dans un vieillard ce qu’était l’homme de vingt ans ; on en est récompensé par une jouissance inconnue dans la mouvante Europe, celle de vivre une heure chez les aïeux d’il y a huit siècles. — Signalons en passant l’emploi qu’un historien sagace pourrait faire de cette précieuse épave pour une étude d’un bien autre intérêt ; l’étude de ce monachisme oriental des premiers siècles, qui a joué un si grand rôle dans le développement du christianisme, de ces multitudes d’ascètes qui peuplèrent alors la Thébaïde. Certes il y a loin en