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part de l’école de Constantinople dans cette éclosion. Si le temps avait détruit les informes madones du premier peintre italien, Giotto nous apparaîtrait comme son contemporain oriental, en pleine aurore, sans ancêtres. Les débuts furent donc identiques à Florence et à Karyès : l’art florentin et l’art athonite sortent d’une même source, comme deux fleuves égaux : la suite seule est différente, comme le tempérament des deux races. Tandis que l’esprit occidental, surabondant de jeunesse et de sève, s’emparait de la tradition de l’initiateur pour la perfectionner sans relâche par le naturalisme, d’Orcagna à Masaccio, de Masaccio au Vinci, du Vinci au Sanzio, l’esprit byzantin, usé et pétrifié, immobilisait la sienne par le dogmatisme. Éblouis, mais non stimulés par l’œuvre de leur maître, les disciples de Pansélinos cataloguent les couleurs, mesurent les proportions, comptent les lignes : l’un d’eux, Denys d’Agrapha, arrête ce formulaire dans un codex qui fait loi. Grâce à cette étonnante puissance de conservation qui est le trait du génie oriental, ils maintiennent durant trois siècles une vie factice et un éclat incontestable à la tradition immobile ; mais le jour vient où cet art embaumé subit la loi de tout ce qui meurt et se décompose ; sous les mensonges du canon hiératique, il n’en arrive jusqu’à nous que des restes dérisoires, cendres d’une plante qui n’a pu grandir dans une terre desséchée et qui a donné ses plus belles fleurs au début.

Nous nous sommes bien attardé à ces peintures murales, l’œuvre capitale et la gloire des vieux moines, athonites. Les réflexions qu’elles nous ont suggérées peuvent s’appliquer aux autres branches de leur art. Les nombreux tableaux, peints sur bois à l’encaustique ou à la colle, qui emplissent les églises et les panneaux des iconostases, datent pour la plupart des deux derniers siècles : il n’y faut donc chercher d’autre mérite que la fidélité scrupuleuse à copier les types anciens. Quelques-uns de ces derniers subsistent dans un état matériel déplorable : ce sont généralement des Panagia. On sait que les tableaux byzantins ne laissent libres que la tête et les mains des personnages ; le nimbe et le vêtement, d’argent repoussé ou de filigrane, emprisonnent le reste du cadre. Par l’action du temps et de l’humidité, la cire s’est coagulée en grumeaux, la litharge a poussé au noir : on ne distingue sous cette patine terreuse que de grands yeux caves dans des faces blêmes, dont le recul est exagéré par la saillie des ornemens de métal. Ceci n’est pas absolu par bonheur ; il est de ces Panagia moins anciennes ou mieux conservées qui nous ont arrêté longtemps par le charme et la vérité de leur expression. Le vernis particulier, sombre et glauque, que les siècles donnent à l’encaustique, prête à ces figures une certaine ressemblance matérielle avec les vierges brunies de Léonard ; leur regard doux et profond ne la dément pas. Nous signalerons