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monastique, même plan général, même caractère, même accueil. Malgré sa monotonie, notre vie a un attrait puissant, : la fidélité scrupuleuse avec laquelle elle nous rend la vie d’autrefois ; pas une habitude, un usage actuellement dans nos mœurs auquel nous puissions nous ressaisir, pas une de nos minutes qui ne soit empruntée aux siècles passés. — Nous avons aperçu à travers une clairière de forêt ou au tournant d’un promontoire l’enceinte de hautes murailles et les dômes trapus d’un monastère ; l’Albanais décharge son long fusil pour annoncer les voyageurs ; nous mettons pied à terre devant une porte massive, précédée parfois d’un pont-levis jeté sur le torrent ; un corridor voûté, tortueusement pratiqué dans le ventre des tours, et dont les ténèbres ne sont éclairées que par des lampes brûlant devant les icônes, donne accès dans la cour intérieure ; L’igoumène, majestueusement entouré de ses moines, nous attend à l’entrée de sa sainte forteresse. Après les premiers complimens, tous les noirs personnages, la tête enveloppée de ce long voile de deuil appelé kalimafkon, s’engagent devant nous dans les détours du porche, se déploient dans la grande cour, jonchée de feuilles de laurier en notre honneur, et nous précèdent à l’église en psalmodiant un chant grave, appuyé de volées de cloches carillonnantes. Rien ne peut rendre la solennité puissante, un peu lugubre, de cet accueil. En suivant ce sombre cortège, qui chante sur nous ses litanies, il nous semble toujours assister à notre propre enterrement. On nous introduit dans l’église : l’igoumène revêt ses habits sacerdotaux et dit la prière consacrée pour le salut des hôtes, reprise sur un rhythme dolent par le chœur des moines ; elle est suivie d’une invocation dia tin gallikîn dimocratian, — pour la république française. — Ceux qui ont longtemps et isolément vécu dans des contrées reculées, portant pour leur petite part la responsabilité et l’orgueil jaloux du nom national, ceux-là seuls comprendront la sensation indicible que nous éprouvons à voir, pour la première fois sans doute en ce désert, tomber devant nous cette prière étrangère sur l’image soudainement évoquée de la chère absente.

Au sortir de l’église, on monte au parloir, afundariko, généralement juché tout au haut des grands bâtimens conventuels, dans une de ces chambres de bois en saillie qui couronnent le mur de pierre et d’où la vue s’étend librement sur la mer. On s’accroupit sur le divan circulaire, les frères-lais apportent le café, l’eau de source et le glyco, l’éternelle confiture de roses qui joue avec la cigarette le principal rôle dans les conversations orientales ; On échange avec l’igoumène les banalités obligées, on répond aux questions politiques, parfois assez saugrenues, qui se pressent naïvement sur les lèvres de ces grands enfans, on tire d’eux non