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nord-est. Le barbare d’Occident, dont les scrupules se sont usés de longue date à piller les moines lombards ou rhénans, est peu sensible aux dolentes litanies de ces schismatiques et les rançonne sans pitié. En même temps, à l’instigation d’Innocent III, une tentative est faite pour latiniser le principal centre monastique de l’orthodoxie. Les Amalfitains, ces infatigables pionniers qu’on retrouve à l’avant-garde de toutes les entreprises occidentales en Orient, fondent le couvent catholique d’Omorphonô, dont les ruines abritent aujourd’hui des chevriers sous un toit de lierre, dans un des sites les plus pittoresques de la presqu’île.

Cet orage a passé pourtant : l’autocrator orthodoxe est rendu à ses peuples ; le Paléologue sera aussi dévot, aussi généreux, aussi paternel pour les cénobites que l’avait été le Comnène. C’est, du XIIIe au XVe siècle, l’époque de la pleine floraison monastique ; de toutes les couches de cette société byzantine, troublée, blasée, surmenée, des recrues arrivent dans la tranquille retraite. La faveur impériale et les largesses qui la traduisent permettent d’édifier de nouveaux monastères : Simopétra, Aghios-Dionysios, Castamoniti, s’élèvent ; un art appauvri déjà, mais facile et fécond, emplit les églises et les trésors conventuels de ses productions diverses. Comblés par les maîtres de Byzance, les moines ne le sont pas moins par les despotes du Danube ; ils ménagent prudemment ces barbares, dont la main hardie déchire chaque jour l’empire de Constantin tout le long du Balkan ; dans les fresques de cette époque, Andronic et Alexis, ceints du globe à l’aigle éployée et couverts de la pourpre romaine, se mêlent familièrement aux robes de fourrures, aux bonnets à aigrettes des rois bulgares, des krals de Servie, des voïvodes d’Hungro-Valachie ; au bas des chrysobulles qui s’entassent aux archives, apportant des fermes, des villages, des droits régaliens, les sceaux de l’empire se heurtent aux croix slavonnes ; à la porte de l’église, la charte de fondation est reproduite avec la même confiance, qu’elle soit en lettres grecques au nom du basileus ou en caractères cyrilliques à celui du tsar. Les témoins matériels laissés ici par le temps donnent une image fidèle de cette anarchie du bas-empire, de cette confusion de pouvoirs au milieu desquelles la prudence monastique savait naviguer à son plus grand profit. L’influence des solitaires rayonnait d’ailleurs en dehors de leur retraite : dès le XIVe siècle, ils deviennent une puissance morale dans la monarchie, les médiateurs écoutés des querelles qui la déchirent. Nous retrouvons ici les fortunes monacales si communes dans notre société féodale des premiers siècles ; un religieux part pour Byzance son bâton à la main ; son renom de sainteté retentit dans le concile, sa souplesse à l’intrigue trouve le chemin de la chambre royale : du gouvernement de son monastère, il passe à celui de l’église