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le lourd personnage barricadé derrière la marmite à café et le hardi cavalier qui s’élance sur la trace du gibier fussent un seul et même homme. Chasseur, il déploie l’adresse, la ténacité et la résistance à la fatigue d’un bédouin. La vie dans ces déserts a fait de ces gens des Peaux-Rouges, moins la couleur. Un jour, M. Mohr, ayant tiré un buffle, voit sortir du bois, comme appelé par la détonation de sa carabine, une troupe de boers à cheval, parmi lesquels mynheer Osthuis, qu’il n’avait pas revu depuis près d’un mois. Ce dernier lui raconta qu’il y avait quelques jours qu’en poursuivant une girafe il s’était rompu deux côtes, et lui demanda un onguent pour se guérir le plus vite possible ; il était prêt à payer ce service d’une couple de dents d’éléphant. Un boer dans ces circonstances s’attend à être réparé séance tenante comme on recolle un meuble cassé. Mynheer Osthuis ajouta qu’après son accident il était d’abord resté assis sous sa tente deux jours entiers ; mais qu’en intendant les coups de feu de ses compagnons il n’y tenait plus, et qu’il remontait à cheval malgré les souffrances que lui causait le moindre mouvement. M. Mohr lui ayant déclaré que le repos absolu était le seul moyen de guérir ses fractures, le vieux boer le regarda d’un air étonné, et se mit à le questionner sur les conséquences pénibles de son accident, quand tout à coup les Cafres annoncèrent que les autres chasseurs venaient de tuer quatre buffles, et mynheer Osthuis tourna bride pour les rejoindre. — Lorsqu’on songe à la quantité de trous dangereux qui se rencontrent à chaque pas, on s’étonne que pendant ces chasses les accidens sérieux ne soient pas plus fréquens. L’insouciance des chasseurs dépasse tout ce qu’on peut imaginer. Pour perdre moins de temps à charger leurs carabines, au calibre énorme, ils portent la poudre dans les poches garnies de cuir de leurs habits de chasse, ils y puisent une poignée et la versent dans le canon, le plus souvent sans quitter leur pipe allumée. Plus d’une fois l’os huméral est fracturé par le recul de ces formidables carabines, mais ces braves gens ne renoncent pas pour si peu à ces armes qui tuent si vite et si bien.

Un jour, Ziesmann à son tour avait fait une chute dangereuse avec son cheval, et il était resté quelque, temps sans connaissance. Une fois remis et de retour au camp, il ne songea plus à son accident que pour s’épancher en invectives contre un pauvre noir dont il accusait le mauvais œil ; s’il le tenait, vociférait-il, son affaire serait bientôt faite, dût-il payer au chef des Matébélé cinq bœufs pour prix du sang ! C’était grâce à ce sorcier, disait-il, que dans sa dernière chasse il avait perdu vingt éléphans qu’il était sûr d’avoir mortellement frappés ! Quand on lui représenta que de pareilles superstitions étaient indignes d’un bon chrétien, le brave homme parut comprendre que sa colère était ridicule, et remercia son compagnon en lui broyant les doigts dans sa patte d’ours. Cela ne l’empêcha pas, quelques jours plus tard, de se livrer à une