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et son ami Adolphe Hübner, ingénieur des mines de Freyberg en Saxe, jeta l’ancre dans la baie de la Table, en vue de Cape-Town. Le 8 février, un autre steamer les débarquait à Durban, port de l’état de Natal, où ils firent immédiatement leurs préparatifs pour l’excursion qui devait les conduire au cœur du vieux continent. Le mode de locomotion adopté dans ces contrées pour les longues traites, — le seul praticable d’ailleurs à cause des inégalités du sol, — est le lourd chariot de bois des boers hollandais, surmonté de cerceaux qui soutiennent une vaste bâche de toile goudronnée, et attelé de 14 ou 20 bœufs que dirige un Hottentot du haut de son siège. Vraie maison roulante, que tout le monde critique sans pouvoir trouver mieux, cette voiture est garnie de poches et de caissons sans nombre où l’on réunit un capharnaüm d’ustensiles variés, de provisions de toute sorte, de médicamens, d’armes, de munitions, d’étoffes et de verroteries destinées aux indigènes, etc. Un matelas porté sur un cadre de bois suspendu sous la bâche sert de lit de repos, et l’on finit par s’habituer au balancement perpétuel de cette couchette, aussi mobile que le hamac du matelot, et le voyageur qui s’est confié à ce vaisseau du désert se guide dans sa marche par les astres du ciel et par le compas de route comme un navigateur en haute mer.

A Durban, M. Mohr trouva deux chariots tout neufs pour la somme de 5,200 francs ; attelés chacun de quatorze bœufs à longues cornes, ils ont fait sans accident un trajet de plus de 3,000 kilomètres dans un pays sans routes, au milieu des montagnes et des rocs ou dans des lits de rivières aux sables mouvans. C’est le 8 mars qu’il partit de Durban en compagnie de M. Hübner, avec un domestique anglais et onze Cafres, dans la direction de Maritzbourg, capitale de l’état de Natal, d’où il voulait gagner Potchefstrom. Arrivé à Sand-Spruit, au pied des Monts-Draken, une enflure rhumatismale du genou droit le força de faire une halte de quelques jours pendant que la caravane poursuivait sa route, halte qui faillit lui coûter cher. « Ne sachant comment traiter mon genou, dit M. Mohr, je l’enveloppai dans de la flanelle bien chaude, puis j’expédiai une lettre au médecin anglais de Ladysmith pour le prier de me faire une visite. A peine le messager était-il parti que l’hôte vint me prévenir qu’un guérisseur ambulant, le « docteur Martin, » était à la porte de l’hôtel et que je pouvais le consulter. J’acceptai la proposition, et bientôt des pas mesurés et sonores annoncèrent les approches d’un personnage de poids ; la porte s’ouvrit, et je vis devant moi l’Esculape africain. Malgré mon abattement, j’eus beaucoup de peine à retenir un éclat de rire. Qu’on se figure un individu dont l’extérieur inculte et le parler grossier trahissent à n’en pas douter qu’il a du faire ses études à l’école de Newcastle-sur-Tyne, où l’on apprend à porter des sacs de charbon, ou bien à Millwood, où l’on fend du bois, et l’on aura une idée de l’impression avenante que me fit le docteur Martin. Le chef couvert d’un feutre à larges bords, orné d’une douzaine d’immenses plumes