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et du centre droit auraient pu s’avouer à eux-mêmes que, par leurs combinaisons trop habiles ou trop exclusives, ils avaient contribué à la défaite qu’ils venaient d’essuyer, et enfin ils n’ont pas vu que par leurs récriminations ils provoquaient une réflexion toute naturelle : si la gauche a eu tort d’accepter sans conditions le concours des voix bonapartistes, le 24 mai a eu tort aussi sans doute d’accepter ce concours en le payant libéralement, en rouvrant aux partisans de l’empire la porte des conseils, de l’administration tout entière. À vrai dire, c’est M. le garde des sceaux qui seul, en parlant de ces malheureux sénateurs, a prononcé le mot juste : « Pour moi, nommés régulièrement en vertu des lois constitutionnelles, ils sont la seconde partie de ce personnel gouvernemental que j’appelle de mes vœux : la première est M. le maréchal de Mac-Mahon nommé par vous, la seconde ce sont les soixante-quinze sénateurs que vous avez élus. À ce titre, je ne distingue pas entre eux, je leur voue tout mon respect. Je les reconnais comme des membres du gouvernement définitif de mon pays. » Voilà qui est parler simplement, pratiquement, avec une entière correction constitutionnelle !

C’est à l’occasion de la loi sur la presse et sur la levée de l’état de siège que se sont produits tous ces commentaires contradictoires, parfois irritans ou puérils des élections sénatoriales. Évidemment la loi de la presse n’a été que le prétexte d’une dernière mêlée de partis, d’une dernière intervention de M. le vice-président du conseil à la veille des élections. Par elle-même, il faut l’avouer, la question était assez mal engagée, elle venait tardivement, et elle n’a pu prendre une certaine importance que par la manière dont elle s’est posée, par le caractère politique de la situation tout entière. De quoi s’agissait-il donc ? une loi sur la presse était-elle bien nécessaire, même comme condition de la levée de l’état de siège ? Ce n’est point assurément que les dispositions présentées et soutenues avec fermeté dans leur partie juridique par M. le garde des sceaux soient bien dures ou bien menaçantes. Elles n’innovent guère, elles ne créent ni des délits nouveaux ni des peines nouvelles ; elles rendent tout au plus à la police correctionnelle des délits qui en 1871 avaient été soumis au jury sur un rapport remarquable de M. le duc de Broglie. Ce n’est en aucune façon une atteinte sérieuse à la liberté de la presse, mais c’est une chose curieuse à observer : toutes les fois que les gouvernemens éprouvent des embarras qu’ils se créent le plus souvent, toutes les fois qu’ils ne savent plus que faire, ils se tournent vers la presse comme vers l’unique auteur de tout le mal qui désole le monde, comme si les journaux avaient seuls le monopole de la violence de langage.

Des lois nouvelles sur la presse, en vérité à quel propos ? en quoi peuvent-elles donner au gouvernement des armes plus efficaces que celles dont il dispose ? Ce ne sont point à coup sûr les lois qui manquent, il y en