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en obtenir et pour s’en servir contre eux. Une autre conséquence fâcheuse de l’acquisition que vient de faire la Grande-Bretagne est, au dire des mêmes censeurs, la nécessité où elle sera de s’occuper sans cesse de l’état financier de l’Égypte, qui jusqu’en 1894 doit lui servir un intérêt annuel de 5 pour 100. Elle se trouve avoir acheté une annuité égyptienne, laquelle procurera des soucis considérables au chancelier de l’échiquier et l’obligera d’exercer un contrôle épineux, minutieux, embarrassant sur le budget de l’Égypte et sur les fantaisies coûteuses de ceux qui la gouvernent, car les fantaisies coûtent cher dans le pays des pyramides, et on s’y entend mieux à faire des dettes qu’à en payer les intérêts.

Ces critiques ont médiocrement ému le gros du public anglais, qui avait approuvé le cabinet et qui l’approuve encore. Si la France demande aujourd’hui à son gouvernement de n’avoir pas de nerfs et de marcher la sonde à la main, l’Angleterre, un peu fatiguée des homélies et des redites de l’école de Manchester, un peu confuse du rôle par trop effacé que les whigs lui ont fait jouer dans les affaires européennes, inquiète d’entendre dire partout qu’elle a fait abdication, l’Angleterre est revenue aux tories pour avoir un gouvernement qui sût oser et parler haut, et elle a vu dans l’achat des actions un coup de politique très habile et très hardi. Elle a cru deviner qu’avant peu tous les intérêts du canal seraient concentrés dans ses mains, que l’Égypte suivrait le sort du canal, que partant elle serait en mesure d’assurer à jamais l’indépendance du khédive ou, pour mieux dire, qu’elle l’aurait à sa discrétion. L’étonnement de l’Europe lui a inspiré un sentiment de joyeux orgueil. Le léopard a regardé ses griffes, il lui a paru qu’elles avaient subitement repoussé, et, les tirant de leur étui, du haut de ses falaises crayeuses il les a montrées à l’Europe, qui n’y croyait plus.

A la vérité, en prononçant à Sheffield un discours plein de réserves et d’insinuations, le leader du parti libéral, lord Hartington, semble s’être proposé de jeter un verre d’eau sur les imaginations trop échauffées. Il s’est demandé si le cabinet tory avait eu réellement les vues ou les arrière-pensées audacieuses qu’on lui attribue, et il a posé ce dilemme : « ou le gouvernement vient de s’engager dans une nouvelle et vaste politique, et il serait convenable qu’il donnât au parlement la plus prompte occasion d’approuver ou de désapprouver cette politique ou bien ses vues véritables sont beaucoup moins hardies qu’on ne let suppose généralement, et il ferait bien de couper court à toutes les rumeurs exagérées ou mensongères qui ont couru à ce sujet. » C’était une façon de dire à M. Disraeli, et à lord Derby : Avez-vous, oui ou non, l’intention de monter au Capitole ? ayez l’obligeance de vous en expliquer, afin que nous puissions préparer à loisir notre plan de campagne. Lord Derby a fait au chef de l’opposition une réponse indirecte et fort