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pourrait nommer aussi « la région des bruyères et des ajoncs, » commence aux Canaries, renferme le nord du Portugal, la côte cantabrique de l’Espagne, le littoral de la France jusqu’aux contreforts du plateau central et à la Sologne, fait une pointe à l’ouest de Paris en comprenant la forêt de Rambouillet, puis se retire en un point à déterminer sur la Manche, embrasse les îles normandes et va toucher le sud de l’Irlande, où vivent en sentinelles avancées une douzaine d’espèces méridionales, principalement d’éricinées et de saxifrages, et où le myrte croît en pleine terre, sous la douce influence du climat maritime. Le gulf-stream, dont une branche pénètre dans la partie supérieure de la région, y réchauffe à la fois la mer et l’atmosphère en portant jusque dans les polders de la Belgique et de la Hollande quelques-unes des plantes atlantiques, notamment un groupe de monocotylédones et des campanulacées rares. C’est une région que M. Grisebach ne voudrait considérer que comme une émanation de la région méditerranéenne, bien que les conditions climatériques y diffèrent considérablement de celles de la Méditerranée. Elle est remarquable par l’étendue de l’aire qu’y occupent quelques-unes de ses plantes caractéristiques : le pavot à fleurs jaunes, qui s’étend du Portugal et des Asturies à l’Auvergne, à la Bretagne et à l’Ecosse, — la bruyère cendrée, qui peuple nos guérets et qui, devenue rare en Belgique, parvient cependant jusqu’en Norvège, etc. Des considérations de cette nature ont inspiré l’ingénieuse hypothèse d’Edouard Forbes, selon laquelle ces analogies entre terres aussi éloignées résultent de l’existence ancienne d’un continent intermédiaire, l’Atlantide, dont la tradition, révélée jadis aux prêtres d’Égypte, avait été portée jusqu’à Platon. Si l’Irlande a été jadis contiguë ou rattachée aux Asturies et aux Açores, et ces dernières aux Canaries, il ne serait pas surprenant en effet que l’Irlande eût conservé quelques espèces de cet ancien continent, de même que les autres points de la région atlantique ont gardé des types qui leur sont communs entre eux ou avec quelques pays du bassin méditerranéen.

Une autre région, la région australe ou antarctique, a été indiquée par l’illustre directeur du Jardin de Kew, M. J. Hooker, qui, dans la préface de sa Flore de la Nouvelle-Zélande, s’est vu conduit, pour expliquer des affinités de végétation et même des identités, à supposer l’affaissement d’un continent ou d’îles considérables dans la direction du Chili à la Nouvelle-Hollande et même du Chili à Tristan da Cunha. Supposer des terres disparues entre Madagascar et l’Australie, c’est une hypothèse hardie qui pourra s’imposer un jour à la science et qui reçoit une grande force des argumens que M. Alphonse Milne Edwards a tirés de l’étude des faunes.