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réserve. « La coexistence de flores diverses à côté l’une de l’autre, nous dit-il, prouve déjà qu’elles proviennent de certaines localités créatrices déterminées que l’on peut considérer comme leurs centres de végétation, dont le nombre est incertain et dépend de la quantité des espèces indigènes… Ce n’est que dans les localités spéciales que la nature a répandu ses premiers germes, mais ces localités furent innombrables et disposées sans symétrie, comme les étoiles du firmament, et chaque localité eut la propriété de produire une forme organique déterminée. » L’autorité légitime dont M. Grisebach jouit dans la science, et qui doit recommander la lecture de son livre, est précisément la raison qui nous oblige à formuler aussi courtoisement que possible les preuves qui militent contre la théorie adoptée par lui.

Ces preuves sont de plusieurs sortes. La première nous sera fournie par la difficulté même de définir le nombre des régions dites naturelles, et encore plus des prétendus centres de création. Si chaque région naturelle était aussi bien caractérisée que les trois dont nous avons parlé, et si chacune offrait une végétation spéciale plus abondante et pressée au centre de la région, d’où elle aurait visiblement rayonné pour s’arrêter au contact des régions voisines, la théorie des centres de création réunirait en sa faveur de grandes probabilités ; mais il est loin d’en être ainsi. Les régions s’entremêlent sur les bords, se pénètrent en tout sens, comme l’a fait remarquer M. Alphonse de Candolle[1], et, ce qui est plus défavorable encore à la théorie en question, la région la mieux définie varie dans son intérieur, et, loin d’être toujours identique à elle-même, offre en différens points de petits centres secondaires. L’histoire de la science a enregistré les contradictions de ceux qui ont essayé d’énumérer les centres de création ; aussi, quel que dût être le résultat de la tentative de M. Grisebach, elle était assurément des plus délicates.

M. Grisebach est certainement l’auteur qui jusqu’à présent a tracé de la manière la plus précise, je dirai même la plus méthodique, la subdivision du globe en régions naturelles ; mais le meilleur esprit ne peut résoudre d’une manière complètement satisfaisante un problème mal posé. Sans doute M. Grisebach doit se flatter d’avoir démontré la possibilité de reconnaître dans la végétation du globe des régions naturelles ; cependant quelques-unes de celles qu’il a circonscrites sont de nature à provoquer de sérieuses objections. Sa première région, dite par lui domaine arctique,

  1. Voyez sa Géographie botanique raisonnée, et son récent mémoire sur les Groupes physiologiques des végétaux.