Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 13.djvu/187

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’Amazone est l’artère d’une forêt presque encore vierge. Sur les rives du fleuve s’élèvent des roseaux énormes, derrière eux des balisiers gigantesques, puis des palmiers hauts de 50 pieds et si variés d’usages et de formes qu’ils ont fourni à M. de Martius la matière d’un livre entier, enfin des forêts où croissent spontanément le noyer du Para (Bertholletia excelsa) et le cacaoyer, des légumineuses à cœur dur comme du fer, et cette myriade d’arbres que chargent non-seulement leurs propres fleurs, mais des parasites de toute espèce : des broméliacées en crinières dressées ou pendantes, qui ne leur demandent qu’un support, — des loranthacées, guis géans à grands panaches rouges, qui s’y implantent pour s’en nourrir, — des lianes qui les étreignent d’étroites cordelettes d’où retombent en cascades odorantes des grappes de fleurs orangées. Ici règnent une chaleur, une humidité constantes sous l’abri de dômes immenses de verdure où la lumière pénètre à peine ; c’est une serre chaude entretenue par la nature et, abstraction faite du Para, le séjour le plus délicieux du globe.

En considérant ces régions naturelles, les mieux délimitées de toutes, les botanistes se sont peu à peu habitués à croire que les végétaux appropriés à ces régions avaient été créés pour elles, et que tout domaine de végétation, pour parler la langue un peu barbare de M. Grisebach, était en même temps un centre de végétation, ou plus exactement un centre de création.

La conception d’un centre de création d’où aurait rayonné chaque espèce végétale remonte un peu haut dans la science. Selon Linné, tous les types de végétaux et d’animaux seraient sortis d’un seul point de la terre, berceau en même temps du genre humain. En laissant de côté l’origine et les migrations de l’homme, dont l’étude réclamerait des considérations de nature fort diverse, et en nous restreignant à la partie botanique du sujet, il faut reconnaître que l’opinion de Linné ne pouvait se soutenir, même avant les découvertes de la géologie, que par de grands efforts d’imagination. On l’a réfutée mainte et mainte fois. Après Linné, Gmelin et d’autres ont proposé non plus un seul, mais plusieurs centres de création. Willdenow prétendit rattacher les différentes flores aux chaînes de montagnes dites primitives : ainsi les Alpes auraient été un centre de végétation, le Caucase un autre, etc. Malheureusement les détails de pareilles hypothèses ne supportent pas la discussion. Peu à peu les naturalistes européens se sont comme accordés à rapporter les végétaux si variés qui couvrent la terre à un certain nombre de points primordiaux, sur le chiffre et la situation desquels on n’a pas d’ailleurs pu s’entendre. Cette doctrine a été établie de la manière la plus formelle par Adrien de Jussieu, et M. Grisebach l’adopte sans