austère, et non d’un désœuvré sentimental qui cède aux charmes de quelque beauté légère.
II.
Mme Blumenthal, pour le moment, semblait avoir renoncé au Kursaal. Son jeune ami lui fournissait sans doute le sujet d’une étude intéressante, et elle tenait à s’y livrer sans distraction.
Cependant je l’aperçus enfin un soir à l’opéra, et dans sa loge elle me parut plus belle que lors de ma première rencontre. Adelina Patti chantait, et, le rideau levé, je ne m’occupai que de ce qui se passait sur la scène. À la fin du premier acte, je vis que l’auteur de Cléopâtre avait pour cavalier son jeune admirateur. Il se tenait derrière elle, regardant par-dessus son épaule et l’écoutant d’un air charmé, tandis que la dame agitait son éventail avec lenteur. Elle parcourait des yeux la salle, et je me figure que ceux des spectateurs dont elle parlait n’auraient pas été ravis de l’entendre. La lorgnette de Pickering suivait les indications qu’on lui donnait ; ses lèvres demeuraient entr’ouvertes, comme cela lui arrivait chaque fois qu’une conversation l’intéressait. Je crus que le moment serait opportun pour aller présenter mes hommages ; mais l’arrivée d’une vieille connaissance qui vint occuper une stalle à côté de la mienne m’obligea à retarder ma visite. Je ne le regrettai pas, car personne ne devait être plus à même que mon voisin de réduire en prose raisonnable les rhapsodies lyriques d’Eugène. Niedermeyer, quoique diplomate et Autrichien, était assez bavard ; il connaissait un peu tout le monde.
— Savez-vous, lui demandai-je après avoir échangé avec lui quelques paroles, qui est et ce qu’est cette dame en robe bleue que vous lorgnez en ce moment ?
— Qui elle est ? répliqua Niedermeyer en abaissant sa lorgnette. Elle se nomme Mme Blumenthal. Ce qu’elle est ? Il faudrait du temps pour le raconter. Faites-vous présenter, — rien de plus facile. Vous la trouverez charmante, et au bout d’une huitaine de jours vous me direz ce qu’elle est.
— Je n’en répondrais pas. Mon ami, qui l’accompagne ce soir, la connaît depuis plus d’une semaine, et je ne le crois pas encore à même de la bien juger.
— Je crains que votre ami ne soit un peu épris. Pauvre garçon, il n’est pas le seul Elle paraît vraiment fort jolie d’ici ; c’est étonnant comme ces femmes-là se conservent.
— Ces femmes-là ! Vous ne voulez pas donner à entendre que Mme Blumenthal n’est pas une dame très respectable ?
— Oui et non. C’est elle-même qui a formé l’espèce d’atmosphère