Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 13.djvu/142

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une note exacte de ces convocations : elles oublieraient tous les événemens d’une année plutôt que celui-là. Il est visible que les assemblées annuelles intéressaient vivement les hommes et tenaient une grande place dans leur existence. La raison de cela s’aperçoit bien ; ce n’était rien moins qu’une expédition militaire. Le chroniqueur d’un couvent ne pouvait pas omettre un champ de mai pour lequel il avait vu partir son abbé suivi de tous les vassaux et serviteurs du couvent armés en guerre à grands frais. Ce champ de mai était dans l’histoire de chaque année ce qu’il y avait de plus important, de plus plein de péril et d’intérêt, de plus ruineux surtout. Comment le moine aurait-il oublié ce grand événement annuel où la vie des hommes et la fortune du monastère avaient été en jeu ? Aussi ne manque-t-il jamais de nous dire en quelle contrée de l’empire et contre quel ennemi le plaid royal a été convoqué.

En revanche, il est bien frappant que, parmi tant de chroniqueurs qui nous parlent des champs de mai, il n’y en ait pas un seul qui les présente comme une institution de liberté ou comme une garantie du droit. On peut même observer que les deux idées de liberté et d’assemblée ne se trouvent jamais associées. Aller au champ de mai n’est pas un droit pour les hommes, c’est une obligation. On s’y rend « pour obéir à l’ordre du roi. » Y assister, c’est faire acte de soumission, de déférence, de fidélité. Aussi les étrangers et même les vaincus y doivent-ils venir aussi bien que les Francs. L’annaliste remarque par exemple qu’en 782 tous les Saxons se rendirent au plaid, à l’exception de ceux qui étaient rebelles. En 786, les Bretons, ayant été vaincus et soumis, se rendirent à l’assemblée de Worms, et l’année suivante les Saxons figurèrent à celle de Paderborn. Croire que cette grande assemblée ne fût que la réunion de la race franque serait une grande illusion ; « on y voyait, dit un chroniqueur, des Bavarois, des Lombards, des Saxons, des hommes de toutes les provinces de l’empire[1]. »

Ces hommes étaient réunis, non pour exercer des droits, mais pour remplir des devoirs envers le prince. Il s’agissait pour eux de lui apporter la contribution annuelle, de se mettre à sa disposition pour la guerre qu’il avait résolue ; il s’agissait surtout de lui faire hommage, de lui donner une preuve d’obéissance, de recevoir ses ordres et de prendre connaissance de ses décisions. Ces

  1. Quant aux descendans des anciens Gallo-Romains, on ne peut pas douter, après la lecture des testes, qu’ils ne figurassent dans ces assemblées au même titre que les hommes de race germanique. Il n’y a nul indice qu’ils en fussent exclus ou plutôt exemptés ; les capitulaires ne font aucune exception pour eux. La vérité qui ressort frappante de tous les documens carolingiens, c’est qu’on ne distinguait pas les races. On appelait du nom de Francs toute la population qui habitait entre la Loire et le Rhin, comme on appelait Aquitains, Lombards, Romains, Bavarois, Germains, tous les peuples environnans.