Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 13.djvu/134

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

spirituelle, qui a été transmise au successeur de saint Pierre ; la seconde est la dignité impériale, qui a son siège à Constantinople ; la troisième est la dignité royale. » Alcuin parlait ainsi au puissant monarque qui régnait déjà de l’Èbre à l’Oder, et il le plaçait encore au-dessous de celui qui régnait à Byzance.

Nous ne voyons pas qu’au VIe ou au VIIe siècle les Occidentaux aient regretté que la dignité impériale eût son siège dans une ville de l’Orient. Ce sentiment ne se produisit, ou du moins nous n’en saisissons les symptômes que vers l’an 730 et à l’occasion de l’hérésie des iconoclastes, qui eut alors un moment de triomphe à Constantinople. La haine que cette hérésie souleva chez les Occidentaux ne détruisit pas le vieux respect qui s’attachait à l’empire, mais elle fit désirer que l’empire fût arraché à une ville hérétique et ramené à Rome. Il était naturel que ce fût surtout dans Rome que cette pensée se développât et prît corps. Cette ville était restée sous la dépendance directe des empereurs de Constantinople ; au commencement du VIIIe siècle, elle était encore administrée par un duc impérial. En 731, à l’occasion de l’édit qui prohibait les images, la population chassa ce fonctionnaire. Dès que l’agent impérial eut été écarté, il arriva naturellement que le personnage le plus considérable de la ville, c’est-à-dire l’évêque, en devint le chef et l’administrateur ; pareille chose s’était vue maintes fois en Gaule. Le pape commença donc à gouverner Rome, non toutefois sans reconnaître encore l’autorité suzeraine de l’empereur. Il lui faisait hommage par de fréquentes ambassades, recevait ses lettres et ses ordonnances, et en 795 Rome élevait encore à l’empereur Constantin VI un monument avec cette inscription : au très glorieux Constantin, couronné de Dieu, empereur, auguste.

La complète indépendance était impossible vis-à-vis d’un double danger : l’ambition des Lombards d’un côté, les désordres populaires de l’autre. Les papes avaient besoin d’un protecteur ; ils s’adressèrent aux hommes qui étaient les plus forts en Occident, c’est-à-dire à Charles Martel d’abord, puis à Pépin le Bref, enfin à Charlemagne. Ils se mirent sous la protection des princes francs. Ne jugeons pas cette situation d’après nos idées d’aujourd’hui et ne pensons pas qu’il s’agisse ici d’une simple alliance ou d’une entente morale entre les chefs d’une église et les chefs d’un état. Les papes firent ce que faisaient à la même époque presque tous les évêques de la Gaule ; ils se mirent sous le patronage ou, comme on disait, dans la mainbour de Charles Martel et de ses successeurs. Ils conclurent avec eux le pacte qui s’appelait commendatio ; nos in vestris manibus commendavimus, écrit Etienne II à Pépin. Ce n’étaient pas là des mots vagues dans la langue du VIIIe siècle ; ces expressions