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peut confondre les plus savans. Il faut voir la façon dont tout cela vit, se meut, respire, regarde, agit, se colore, s’évanouit, se relie au cadre et s’en détache, y meurt par des clairs, s’y installe et s’y met d’aplomb par des forces. Et quant aux croisemens des nuances, à l’extrême richesse obtenue par des moyens simples, à la violence de certains tons, à la douceur de certains autres, à l’abondance du rouge, et cependant à la fraîcheur de l’ensemble, — quant aux lois qui président à de pareils effets, ce sont des choses qui déconcertent.

A l’analyse, on n’y découvre que des formules très simples, en petit nombre : deux ou trois couleurs maîtresses dont le rôle s’explique, dont l’action est prévue, et dont tout homme qui sait peindre connaît aujourd’hui les influences. Ces couleurs sont toujours les mêmes dans les œuvres de Rubens ; il n’y a pas là de secrets à proprement parler. Les combinaisons accessoires, on peut les noter ; sa méthode, on peut la dire : elle est si constante et si claire en ses applications, qu’un écolier, semblerait-il, n’aurait plus qu’à la suivre. Jamais travail de la main ne fut plus facile à saisir, n’eut moins de supercheries et de réticences, parce que jamais peintre n’en fit moins de mystère, soit qu’il pense, ou qu’il compose, ou qu’il colore, ou qu’il exécute. Le seul secret qui lui appartienne, et qu’il n’ait jamais livré, même aux plus sagaces, même aux mieux informés, même à Gaspard de Crayer, même à Jordaens, même à Van-Dyck, c’est son génie. La clé, on la possède ; le mécanisme, on le sait ; reste à définir un point obscur, et dans toutes les choses de ce monde c’est ce point impondérable, insaisissable, cet atome irréductible, ce rien qui s’appelle l’inspiration, la grâce ou le don, et qui est tout.

Voilà ce qu’il faut bien entendre et ce dont il faut convenir en premier lieu quand on parle de Rubens. Tout homme du métier ou pas du métier, qui ne comprend pas la valeur du don dans une œuvre d’art, à tous les degrés de l’illumination, de l’inspiration, de la fantaisie, toute personne ainsi disposée est peu propre à goûter la subtile essence des choses, et je lui conseillerai de ne jamais toucher à Rubens et même à beaucoup d’autres. Je vous fais grâce des volets, qui cependant sont superbes, non-seulement de sa belle époque, mais de sa plus belle manière, brune et argentée, c’est-à-dire le dernier mot de sa richesse. Il y a là un saint Jean de qualité très rare et une Hérodiade en gris sombre, à manches rouges, qui est son éternel féminin.

La Pêche miraculeuse est également un beau tableau, mais non pas le plus beau, comme on le dit à Malines, au quartier Notre-Dame. Le curé de Saint-Jean serait de mon avis, et en bonne conscience il aurait raison. Ce tableau vient d’être restauré ; pour le