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sainte Elisabeth est adorable. C’est l’œil baissé, le profil chastement enfantin, le joli cou bien attaché, l’air candide des vierges de Raphaël, humanisés par une inspiration de Corrège, et par un sentiment personnel très marqué. Les mains sont du pur Corrège. Les cheveux blonds qui se noient dans les chairs blondes, les linges blanc-gris qui passent l’un dans l’autre, des couleurs qui se nuancent ou s’affirment, se fondent ou se distinguent très capricieusement d’après des lois nouvelles et suivant des fantaisies propres à l’auteur, tout cela c’est le pur sang italien transfusé dans une veine capable d’en faire un sang neuf. Tout cela prépare Rubens, l’annonce, y conduit. Certainement il y a dans ce Mariage de sainte Catherine de quoi éclairer et lancer en avant un esprit de cette finesse, un tempérament de cette ardeur. Les élémens, l’ordonnance, les taches, le clair-obscur assoupli, plus ondoyant, le jaune, qui n’est plus celui de Tintoret, quoiqu’il en dérive, la nacre des chairs, qui n’est plus la pulpe de Corrège, quoiqu’elle en ait la saveur, la peau moins épaisse, la chair plus froide, la grâce plus féminine ou d’un féminin plus local, des fonds tout italiens, mais dont la chaleur s’en est allée, où le principe roux fait place au principe vert, infiniment plus de caprice dans la disposition des ombres, la lumière plus diffuse et moins rigoureusement soumise aux arabesques de la forme, — voilà ce que Vœnius avait fait de ses souvenirs italiens. C’est un bien petit effort d’acclimatation, mais l’effort existe. Rubens, pour qui rien ne devait être perdu, trouva donc en entrant chez Vœnius, sept ans après, en 1596, l’exemple d’une peinture déjà fort éclectique et passablement émancipée. C’est plus qu’on n’en attendrait de Vœnius ; c’est assez pour que Rubens lui soit redevable d’une influence morale, sinon d’une empreinte effective. »

Comme on le voit, Vœnius avait plus d’extérieur que de fond, plus d’ordre que de richesses natives, une excellente instruction, peu de tempérament, pas l’ombre de génie. Il donnait de bons exemples, lui-même étant un bel exemple de ce que peuvent produire en toutes choses une heureuse naissance, un esprit bien fait, une compréhension souple, une volonté active et peu fixe, une particulière aptitude à se soumettre.

Van-Noort était la contre-partie de Vœnius. Il lui manquait à peu près tout ce que Vœnius avait acquis ; il possédait naturellement ce qui manquait à Vœnius. Ni culture, ni politesse, ni élégance, ni tenue, ni soumission, ni équilibre, mais en revanche des dons véritables, des dons très vifs. Sauvage, emporté, violent, tout fruste, ce que la nature l’avait fait, il n’avait pas cessé de l’être, et dans sa conduite et dans ses œuvres. C’était un homme de toutes pièces, de premier jet, peut-être un ignorant, mais c’était quelqu’un : l’inverse de Vœnius, l’envers d’un Italien, en tout un Flamand de race et de