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fît faire ce qu’on pourrait appeler ses humanités, Van-Noort fit pour lui quelque chose de plus ; il lui montra dans sa personne un caractère tout à fait à part, une organisation insoumise, enfin le seul des peintres contemporains qui fût resté flamand quand personne en Flandre ne l’était plus.

Rien n’est singulier comme le contraste offert par ces deux hommes si différens de caractères, par conséquent si opposés quant aux influences. Et rien également n’est plus bizarre que la destinée qui les appela l’un après l’autre à concourir à cette tâche délicate, l’éducation d’un enfant de génie. Notez que, par leurs disparates, ils correspondaient précisément aux contrastes dont était formée cette nature si multiple, circonspecte autant qu’elle était téméraire. Isolément ils en représentaient les élémens contraires, pour ainsi dire les inconséquences ; ensemble ils reconstituaient, le génie en moins, l’homme tout entier avec ses forces totales, son harmonie, son équilibre et son unité.

Or, pour peu que l’on connaisse le génie de Rubens dans sa plénitude et les talens de ses deux instituteurs en ce qu’ils ont de partagé d’abord, puis de contradictoire, il est aisé d’apercevoir, je ne dis pas lequel a donné les plus sages conseils, je dis seulement lequel a le plus vivement agi, de celui qui parlait à sa raison ou de celui qui s’adressait au tempérament, du peintre irréprochable qui lui vantait l’Italie, ou de l’homme du sol qui lui montrait peut-être ce qu’il serait un jour en restant le plus grand de son pays. Dans tous les cas, il y en a un dont l’action s’explique et ne se voit guère ; il y en a un autre dont l’action se manifeste sans qu’on l’explique, et si à toute force on veut reconnaître un trait de famille sur ce visage si étrangement individuel, je n’en vois qu’un seul qui ait le caractère et la persistance d’un trait héréditaire, et ce trait lui vient de Van-Noort. Voilà ce que je voudrais vous dire à propos du nom de Vœnius, en revendiquant pour un homme trop oublié le droit de figurer à côté du sien.

Ce Vœnius n’était pas un homme ordinaire. Tout seul, il aurait quelque peine à soutenir l’éclat qu’il a dans l’histoire ; mais du moins le lustre qui lui vient de Rubens éclaire une noble figure, un personnage de grande mine, de haute naissance, de haute culture, un savant peintre, quelquefois même un peintre original par la variété de sa culture et un talent presque naturel, tant son excellente éducation fait partie de sa nature, — en un mot un homme et un artiste aussi parfaitement bien élevés l’un que l’autre. Il avait passé sept ans en Italie, il avait visité Florence, Rome, Venise et Parme, et certainement c’est à Rome, à Venise et à Parme qu’il s’était arrêté le plus longtemps. Il est Romain par scrupule, Vénitien par goût, Parmesan surtout, en vertu d’affinités qui se