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incorrigibles. En pleine décadence italienne, à la veille du XVIIe siècle, on trouve encore parmi les Italo-Flamands des hommes du passé qui semblent n’avoir pas remarqué que la renaissance était faite et finie. Ils habitent l’Italie et n’en suivent que de loin les évolutions. Soit impuissance à comprendre les choses, soit raideur et obstination natives, il y a comme un côté de leur esprit qui regimbe et n’est pas cultivable. Un Italo-Flamand retarde immanquablement sur l’heure italienne, ce qui fait que, du vivant de Rubens, son maître marchait à peine au pas de Raphaël.

Tandis que dans la peinture d’histoire quelques-uns s’attardent, ailleurs il en est qui devinent l’avenir et vont en avant. Je ne parle pas seulement du vieux Breughel, l’inventeur du genre, un génie de terroir, maître original, s’il en fut, père d’une école à naître, mort sans avoir vu ses fils, dont les fils cependant sont bien à lui. Il y a ici un homme presque inconnu, de nom incertain, désigné par des sobriquets, en Flandre Henri met de Bles ou de Blesse, l’homme à la houppe, en Italie Civetta, parce que ses tableaux, très rares aujourd’hui, portent une chouette au lieu de signature. Un tableau de cet Henri de Bles, une Tentation de saint Antoine, est un morceau très inattendu, avec son paysage vert bouteille et Vert noir, son terrain bitumineux, son haut horizon de montagnes bleues, son ciel en bleu de Prusse clair, ses taches audacieuses et ingénieuses, le noir terrible qui sert de tenture aux deux figures nues, son clair-obscur, si témérairement obtenu à ciel ouvert. Cette peinture énigmatique, qui sent l’Italie et annonce ce que seront plus tard Breughel et Rubens dans ses paysages, révèle un habile peintre et un homme impatient de devancer l’heure.

De tous ces peintres plus ou moins désacclimatés, de tous ces romanistes, comme on les appelait à leur retour dans leur société d’Anvers, l’Italie ne faisait pas seulement des artistes habiles, diserts, de grande expérience, de vrai savoir, surtout de grande aptitude à répandre, à vulgariser, le mot, je leur en demande pardon, étant pris dans les deux sens. L’Italie leur donnait encore le goût des pratiques multiples. A l’exemple de leurs propres maîtres, ils devenaient des architectes, des ingénieurs, des poètes. Aujourd’hui ce beau feu fait un peu sourire quand on songe aux maîtres sincères qui les avaient précédés, au maître inspiré qui devait les suivre. Pris à leur date, c’étaient de braves gens qui travaillaient à leur manière à la culture de leur temps, inconsciemment au progrès de l’école. Ils partaient, s’enrichissaient et revenaient au gîte, à la façon des émigrans dont l’épargne est faite en vue du pays. Il en est de très secondaires et que l’histoire, même locale, pourrait oublier, si tous ne se suivaient pas de père en fils, et si la généalogie n’était pas en pareil cas le seul moyen d’estimer l’utilité de