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habitans du Haut-Amazone, dont le nombre ne cessera de s’accroître par un courant d’immigration européenne. Jusqu’ici ces populations ont été réduites à vivre de poissons et de tortues, et, il n’y a pas bien des années ; une peau de bœuf séchée était à leurs yeux une merveille ; elles s’imaginaient en la palpant toucher la dépouille de quelque animal quasi fabuleux. Aujourd’hui encore le peu de gros bétail que les bateaux à vapeur importent dans ces parages des régions du Bas-Amazone ou des campos naturels de l’île Marajo et de Santarem fournit à peine à la consommation des petites villes telles que Manaos. Il va sans dire que cette branche d’économie rurale n’a pas non plus, à beaucoup près, atteint au Brésil le degré de développement dont elle serait susceptible ; non-seulement le travail d’élève y est encore sans nul raffinement, mais on a encore bien à faire pour s’approprier tous les procédés de transformation des diverses parties de la bête, où excellent quelques pays espagnols voisins.

À partir de Crato, sur tout le reste du Madeira, on ne rencontre plus ni bœufs, ni vaches, ni chevaux, ni mulets, ni représentans de la race ovine ; le porc même y est une rareté autour des huttes de palmier. Un troupeau de poules qui gloussent sur le sol amolli de la forêt parmi les tas de feuilles putréfiées et l’inextricable réseau des racines, où elles trouvent sans peine une nourriture abondante, quelques canards dits de Turquie, qui descendent probablement des sauvages espèces du pays, tels sont les commensaux les plus ordinaires des basses-cours du seringueiro. Quant aux hôtes des forêts circonvoisines, perroquets, singes, toucans, il en existe toute une ménagerie dans la plupart des habitations. Les plus grosses bêtes fauves de l’Amérique du Sud, sans en excepter l’once et le tapir, s’apprivoisent du reste assez facilement, et il y a même un serpent de taille gigantesque, le giboia, que l’on tient à demeure dans plus d’une hutte, à titre de jerimbabo ou animal domestique, pour détruire les rats, les souris, les blattes, les cloportes venimeux et autres vermines qui se multiplient à foison. L’abondance du gibier sauvage qui hante les rives du Madeira, la quantité prodigieuse de poisson que renferment l’immense rivière et ses infinies ramifications latérales, suffisent donc à expliquer la prédilection que montrent pour la chasse et plus encore pour la pêche, moins pénible et moins dispendieuse, les Indiens et les métis de ces contrées. Dès sa tendre enfance, le petit Tapuyo accompagne son père soit dans la noble guerre contre les fauves, soit, plus volontiers, dans le léger canot d’écorce ou de palmier à travers les plaines inondées par la crue du fleuve : ravissant voyage sous le dôme ombreux des futaies, parmi les sveltes jacitaras à la couronne verdoyante et les grands