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ministre en 1840, membre de l’opposition aux derniers temps du règne de Louis-Philippe, représentant dans les assemblées de 1848, victime du coup d’état de décembre 1851, et condamné à la retraite par le second empire, M. de Rémusat est au fond toujours le même. C’est un vrai libéral pour qui la monarchie constitutionnelle est certainement restée l’idéal, et qui, à défaut de cette monarchie, ne repousse point une république parlementaire, libérale, conservatrice, celle à laquelle il n’avait point hésité à se rallier.

La fortune lui avait réservé au lendemain des dernières catastrophes une suprême et douloureuse faveur en allant le chercher dans la retraite que l’empire lui avait faite pour lui offrir de travailler à la libération du territoire, à la réparation des malheurs que sa prévoyance avait plus d’une fois redoutés. Après avoir refusé toute candidature aux premières élections de l’assemblée nationale et l’ambassade de Vienne que lui offrait M. Thiers, il s’était prêté à être ministre des affaires étrangères dans l’épreuve commune. Il avait accepté cette mission délicate sans empressement d’ambition à coup sûr, par patriotisme, comme aussi pour rester fidèle à la vieille amitié d’un demi-siècle qui l’appelait, — et une fois là il avait dirigé nos relations avec autant de tact que d’expérience, en homme qui savait relever une situation difficile par la dignité personnelle. Il s’était laissé nommer ministre des affaires étrangères par dévoûment en 1871 ; au 24 mai 1873, il quittait le pouvoir sans amertume, satisfait d’avoir pu conduire jusqu’au bout avec M. Thiers la délivrance du pays. C’était l’honneur de son nom et comme le couronnement d’une carrière que les événemens ont pu interrompre quelquefois sans l’altérer.

M. de Rémusat a eu d’ailleurs une ressource invariable contre tous les accidens de la vie publique. Chez lui, à côté du politique il y avait le penseur, l’écrivain revenant sans peine au travail, se remettant à l’étude des problèmes philosophiques ou des phénomènes de l’histoire, à la recherche du vrai sous toutes les formes. Il avait commencé par les lettres, il était toujours resté un lettré supérieur se retrouvant et survivant à travers tout. À la veille d’entrer au pouvoir, en 1840, il traçait ici-même son beau portrait de Washington ; au bruit des coups d’état (1er-15 décembre 1851), entre l’incarcération et la proscription il publiait son essai sur Junius, et on pourrait presque dire que la plus brillante époque pour son talent a été cette période où l’empire, en condamnant l’homme public à un repos forcé, a été un stimulant de plus pour l’écrivain. M. de Rémusat nous appartenait, il a été notre exemple, nous mettons notre orgueil à le revendiquer, et cette Revue, dont il a été pendant trente ans le collaborateur fidèle, garde à toutes les pages la marque de cette infatigable activité. C’est pour la Revue et pendant les années de l’empire qu’il écrivait ces vives et fortes études sur Horace Walpole, sur Bolingbroke, sur Charles Fox, sur Burke, et tous ces bril-