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où je vois une armure en plâtre fort exactement reproduite, mais pas l’ombre d’une statue.

La Théologie de M. Cabet est drapée avec talent. Le mouvement du bras droit est forcé, c’est mettre trop d’énergie pour une simple indication du doigt. Le Corybante est une statue en marbre où M. Cugnot a fait preuve des plus sérieuses qualités. Les jambes sont malheureuses, et avouons tout bas que l’ensemble est glacial. L’Alsacienne qui marche en portant un enfant endormi a cru pouvoir se permettre des proportions monumentales parce qu’elle renfermait une idée grande et patriotique. Au point de vue de l’art pur, elle eût gagné à rester ce qu’elle était : une statuette très réussie. On sent trop le désir de porter un grand coup dans le Réveil de M. Cordonnier ; l’artiste se fait voir par l’étrangeté de son motif, mais c’est par ses qualités charmantes de sculpteur qu’il se fait remarquer. Il y a de grands rapports entre le talent de M. Cordonnier et celui de M. Mercié. Citons encore une jolie étude d’enfant de M. Boucher, le petit Justicier, très fin et très vrai, de M. Guilbert… Mais que d’autres encore il faut omettre !

Et maintenant jetez un coup d’œil sur certaines productions de l’art italien exposées cette année, — j’entends les petits amours dans des coquilles, les petites nymphes dans des roseaux, les petits anges tricotant, — et si vous êtes attristé à la vue de tous ces tours de force de la marbrerie industrielle, vous n’en comprendrez que mieux la réelle valeur de notre sculpture française contemporaine. Les figures de MM. Chapu, Guillaume, Thomas, Delaplanche, Moulin, Lenoir, Mercié et d’autres encore sont à des titres divers des œuvres élevées et vigoureuses, où l’on retrouve, en même temps que le respect des traditions et la trace des chefs-d’œuvre d’autrefois, un sentiment moderne, coloré, intime, personnel, des délicatesses particulières, une émotion nouvelle. N’est-ce pas là un germe plein de sève et de promesse ? N’est-on pas en droit devoir dans ces efforts si nobles et si nombreux les symptômes d’une renaissance de l’art ? Qu’on me permette de me répéter en terminant : c’est l’espèce d’abandon et d’indifférence où le public a laissé la sculpture pendant si longtemps qui lui a permis d’opérer ce travail d’assimilation et de transformation. Tandis que la peinture perdait la tête sous l’influence des coups de bourse et des succès de vogue dont elle était l’objet, la sculpture négligée se recueillait en silence. Nous en voyons le résultat, et nous avons lieu d’en être fiers.