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qui peut représenter toute une famille de peintres de genre. Ici l’idée fait défaut. La nature humaine n’est plus considérée que comme une nature morte. Ces petites scènes espagnoles ont les qualités et les défauts de la photographie : c’est la vérité moins la vie, la nature moins le souffle, le sentiment, le frisson.

Le Retour d’une chasse aux oiseaux de mer de M. Gonbie a des séductions : un break garni de chasseurs est arrêté sur la plage. Au premier plan, un joli petit poney blanc, le tout se détachant sur un ciel nuageux ; l’exécution est extrêmement soignée. Les harnais en particulier, qui ont pu poser dans l’atelier aussi longtemps qu’on a voulu, sont faits avec une tendresse, et ont une vérité, une expression saisissantes. Les personnages leur font un repoussoir heureux.

Étant donné que, dans le genre de peinture où M. Détaille excelle, l’exécution du petit détail réel est la chose importante, il n’est pas extraordinaire que l’habile exécutant ait mis parfois de la négligence dans le choix de ses sujets. On se rappelle ce régiment de cuirassiers, s’aventurant dans une rue d’un village ennemi, arrêté tout à coup par une échelle et deux chaises qui lui barrent le chemin, et massacré dans cette impasse. On se demanda quel pressant besoin de faire assassiner des braves gens pouvait pousser un peintre à imaginer une scène aussi naïvement repoussante. Je suis convaincu que M. Détaille n’avait eu aucune mauvaise intention, que l’idée de son tableau était le moindre de ses soucis, et que son seul but était de peindre des cuirasses, ainsi qu’un fouillis de petites choses qui flattait son œil. Le tableau de cette année, où la pensée fait absolument défaut, est une sorte de réponse aux reproches de l’année dernière et comme une profession de foi du peintre. Il paraît d’ailleurs tout à fait à son aise dans cette nouvelle œuvre, il y semble délivré d’un souci, et jamais son talent ne s’est montré d’une façon plus évidente. La photographie ne rendrait pas avec plus de vérité l’aspect du boulevard de Paris au moment où la foule se range pour laisser passer un régiment de ligne précédé de ses tambours. Voilà bien nos maisons avec leurs enseignes connues, l’omnibus de la Bastille, le sergent de ville dans sa tenue d’hiver, le gamin au nez rouge, le tambour-major avec ses bottes crottées… L’auteur ne nous a pas fait grâce d’un tuyau de cheminée, et a rendu tout cela avec un talent, une sûreté, une justesse, qu’il est impossible de ne pas admirer. Voyez en particulier ce sol couvert d’une fange jaunâtre toute parisienne, mélangée de neige fondue et de macadam dans lequel les voitures ont roulé, n’est-ce pas d’une réalité prodigieuse ?

En observant ce tableau, on se rappelle malgré soi ce fameux diorama qui avait été fondé autrefois à Paris dans le dessein d’y