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chutes et de rapides. Non-seulement un complet débardage est de rigueur, mais les embarcations elles-mêmes doivent accomplir par terre un circuit pénible, et, comme la végétation riveraine est d’une exubérance prodigieuse, il faut que chaque caravane de passage éclaircisse de nouveau à coups de hache l’étroit sentier pratiqué dans la lisière de la forêt vierge à travers les lianes épineuses, les drus bouquets de cacaotiers, les strélitzias aux larges frondes et les palmiers flabelliformes à double éventail. Une lieue plus loin gronde le Courant de la Miséricorde (Correnteza da Misericordia). Ce défilé sinueux est fort redouté, à l’époque de la crue, des Boliviens qui naviguent sur le Madeira ; au temps de l’étiage, on peut toutefois le remonter sans trop de peine. Au-delà de cet étranglement, la rivière, qui s’était rétrécie de moitié, reprend sa largeur normale de 700 et 800 mètres, pour se développer bientôt derechef sur une étendue de 2,000 mètres au rapide de Madeira. Là deux îles la divisent en un double bras dont le courant n’est surmontable qu’à des embarcations absolument vides.

En amont de la cataracte, du côté gauche, se trouve l’embouchure du Béni, qui a une largeur de 1,000 mètres et une profondeur moyenne de 15 mètres. La masse d’eau que charrie ce dernier fleuve (4,344 mètres cubes, niveau moyen, par seconde) dépasse, d’après les plus récens calculs, celle du Mamoré et du Guaporé réunis, et par suite il devrait être considéré par les géographes comme le tronc principal du Haut-Madeira, dont le volume liquide au-dessus de ce confluent est effectivement réduit de moitié sur une largeur sensiblement diminuée. Les roches situées à l’embouchure du Béni sont couvertes de plusieurs centaines d’énormes troncs de cèdres, qui, entraînés d’amont par la crue, y viennent périodiquement s’échouer à l’époque du retrait des eaux et y demeurent stationnaires jusqu’à ce que le prochain mascaret fluvial les remette en mouvement. C’est sans doute cet amoncellement de bois flottans, dont les migrations se continuent jusqu’à l’Amazone, qui a fait changer par les Portugais l’ancien nom indien du fleuve, Caiary, en celui de Madeira, qui signifie bois. Cette embouchure du Béni se trouve à 10° 20′ de latitude sud et à 22° 12′ 20″ de longitude ouest de Rio-de-Janeiro. Aux termes du dernier traité conclu avec la Bolivie pour la fixation des frontières, elle marque le point exact où celles-ci rencontrent les rivages du Madeira. La ligne du chemin de fer laisse à l’ouest le Béni et continue de ranger la rive droite du Madeira jusqu’à l’embranchement du Mamoré et du Guaporé. Le premier rapide sur cette section nouvelle de la rivière est la Cachoeira das Lages, c’est-à-dire des plateaux rocheux, il s’étend avec une pente de 2m,50 sur une longueur de 750 mètres ; très difficile à franchir quand les eaux sont grosses, il n’offre que peu