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peut ressembler à une foi quelconque, excite le sourire des sceptiques, qui n’entendent plus être dupes de quoi que ce soit ?

Si M. Goupil pense ainsi, il se trompe, croyons-nous. Le public est déjà las de cet art né d’hier, où l’habile combinaison, le travail des saveurs, la vibration des dessous, la souplesse du dessus, voudraient remplacer tout. La peinture matérialiste a été une protestation toute naturelle contre les emportemens romantiques de 1830. Pour n’avoir voulu peindre que des âmes, on s’est mis à ne peindre que des corps ; mais il se prépare une réaction nouvelle dont les symptômes sont dans l’inquiétude générale. Le public et les artistes se cherchent mutuellement, et si cette prodigieuse confusion d’efforts et de tentatives doit arriver à enfanter quelque chose, le moment de l’éclosion pourrait bien n’être pas aussi éloigné qu’on le pense. Dans tous les cas, M. Goupil n’est pas fait pour assister à ce mouvement en spectateur et l’arme au bras.

Son petit tableau intitulé Intérieur d’atelier a les qualités rares et sérieuses de sa grande toile : un dessin sûr, beaucoup de sobriété et de simplicité. Pourquoi faut-il qu’en fin de compte cet excellent tableau ressemble à une nature morte, et qu’on ne puisse regarder longtemps ces trois femmes si bien peintes, mais immobiles, muettes, sans vie et comme figées dans leur perfection extérieure ?

Dans son groupe de la Vierge entourée de l’enfant Jésus et de saint Jean-Baptiste, M. Bouguereau pousse la perfection des procédés matériels jusqu’à l’écœurement. Il est impossible de polir avec plus de talent et d’adresse un pain de savon moins digne d’intérêt, impossible d’avoir pour le vide un culte plus respectueux, plus calme, plus convaincu. Ne cherchez là ni os, ni muscles, ni épaisseur, ni modelé, ni structure ; tout cela s’évanouit dans un blaireautage idéal où certaines âmes peuvent entrevoir des puretés raphaélesques, où nous ne trouverons, nous, que suavités de confiseur et arômes de parfumerie.

Le groupe de Flore et Zéphire, que le même auteur nous offre dans un cadre circulaire, a plus de franchise. M. Bouguereau s’y est moins contraint, et son talent s’y manifeste avec plus d’aisance et de liberté. Une draperie rose négligemment jetée sur le corps divin de Flore endormie, une aile de papillon avec un œil au milieu, exprimant très spirituellement le caractère de suavité aérienne qui est propre à Zéphire, puis la pureté d’un paysage à la fois doux et sévère, enfin quelques roses éparses sur le gazon,… telles sont les notes dominantes de cette œuvre que les gens de goût prendront soin de qualifier.

Il y a du trouble et du malaise dans la grande page biblique qu’expose M. Cabanel. L’auteur, lui aussi, semble atteint par la contagion des colorations osées. Voici les rouges les plus cruels, les