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fût complète ? Une seule chose, l’argent. M. Duruy avait très bien vu que cette instruction devait avoir sa place dans des établissemens à part ; mais par économie il y dut renoncer. « Supposez, dit le rapporteur, M. Langlais, dans son exposé des motifs au conseil d’état, supposez un collège seulement pour chaque département, c’est-à-dire en tout 89 collèges ; certes ce serait là un nombre bien insuffisant, et cependant il nécessiterait une dépense supérieure à 50 millions. » La France, en 1865, ne pouvait donner ces 50 millions. Une autre raison, c’était la crainte d’affaiblir les lycées et les collèges en congédiant les élèves des cours annexes. « Personne, dit le même document, ne peut contester qu’ils ne forment un des élémens considérables de leur prospérité. » Faute de ressources suffisantes, le nouvel enseignement fut donc placé dans les lycées et collèges, et en même temps que leurs bâtimens il emprunta leurs administrateurs. Je n’ai pas besoin de revenir sur les dangers de cette cohabitation. Aussi longtemps que le ministre qui avait conçu le plan de l’instruction secondaire spéciale resta au pouvoir, il veilla sur son œuvre ; mais que devait-il arriver sous des successeurs indifférens ou distraits par d’autres soins ? Les proviseurs virent dans les élèves des cours spéciaux un élément considérable de prospérité ; mais la realschule française, placée sous la tutelle de chefs qui, même en les supposant favorables, se doivent encore à d’autres élèves et à d’autres études, ne put avoir cette émulation, cette ambition, ce besoin de s’accroître et de se développer qu’elle a montrés en Allemagne. Les cours se bornèrent à une série de deux ou trois classes. Les programmes furent bientôt jugés trop ambitieux. Les collections, si nécessaires à une instruction de ce genre, restèrent presque partout sur le papier. Les anciens fonctionnaires de l’Université se chargèrent des leçons à donner, en sorte que l’école normale de Cluny vit ses débouchés se rétrécir. L’ordre particulier d’agrégation eut peu de notoriété : le brevet décerné à la sortie des classes, s’il donna droit au volontariat d’un an, n’ouvrit aucune carrière. On put constater une fois de plus combien les grandes administrations sont peu faites pour essayer et pour encourager les nouveautés. Quelques écoles largement dotées et pourvues d’un personnel bien choisi auraient peut-être eu des effets plus profonds et plus rapides que cette vaste organisation. M. Duruy ne s’y était pas trompé, et partout où il l’avait pu, à Mont-de-Marsan, à Mulhouse, à Cognac, il avait provoqué la création d’établissemens voués sans partage à une seule espèce d’instruction.

La vue de ces nombreuses tentatives suivies d’insuccès ou de demi-succès, et plus encore les conseils d’un homme qui a autant