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courage et avec patience[1]. » Un autre livre sur les mêmes questions fut publié par l’avocat-général au parlement de Bourgogne, Guyton de Morvau. Dans son Mémoire sur l’éducation publique, il s’occupe surtout de questions pratiques : il est partisan de l’enseignement laïque, de l’internat, des grands collèges. Lui aussi, il songe à restreindre le nombre des étudians. Il ne va pas jusqu’à demander l’abolition des cours gratuits, mais il propose de supprimer la plus basse classe, celle qu’on appelle la sixième, dans tous les collèges des petites villes[2]. On rendra de cette façon la première éducation plus coûteuse, et l’on forcera les enfans des artisans et des laboureurs à se livrer tout de suite à des travaux plus conformes à leur état.

On a vu souvent depuis se reproduire les mêmes craintes. Je les trouve par exemple chez les ministres du roi Charles X à la veille de la révolution de 1830. Ils représentent au comte de Guernon-Ranville, chargé alors du ministère de l’instruction publique, « les dangers d’une instruction qui ne sert qu’à éveiller des sentimens d’ambition et le dégoût des travaux obscurs du cultivateur et de l’artisan[3]. » C’est ainsi que les maux s’appellent et s’engendrent l’un l’autre. Le même esprit d’exclusion qui veut barrer la route de l’instruction aux classes populaires empêche de trouver un modèle d’école qui leur convienne, et le jour où ces classes, augmentant en force et en richesse, s’ouvrent l’accès des collèges, elles réclament la transformation du seul enseignement solidement organisé qu’elles y trouvent.

Une autre cause de retard, ce fut la centralisation, qui précisément dans les temps dont nous parlons commença de s’établir. Il est intéressant de lire à ce point de vue les propositions du président Rolland : la future université impériale s’y trouve déjà esquissée. Le ministère de l’instruction publique, l’École normale, l’agrégation, les inspections, l’avancement, le plan d’études uniforme, le concours général des collèges de Paris, rien n’y manque. Mais du moment que les réformes prenaient ce tour on sent combien il devenait difficile au nouvel enseignement de se fonder : les administrations n’ont pas l’habitude d’encourager des essais mal définis, ni de souffrir longtemps les tâtonnemens. La difficulté devint bien plus grande une fois que Napoléon Ier eut créé sa hiérarchie universitaire, dont le personnel manquait à la fois de liberté et de

  1. Ce livre de La Chalotais contient d’ailleurs d’excellentes parties, et notamment sur l’histoire et sur la critique il présente des pages d’une pénétration et d’une profondeur remarquables.
  2. L’externat des collèges était alors (1764) gratuit.
  3. Mémoires du comte Guernon-Ranville, publiés par l’académie de Caen, p. 104.