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la rive gauche, jusqu’en amont de l’obstacle. La différence de niveau entre le sommet et la base du rapide est, à hauteur moyenne de l’eau, de 1m,20 ; dans le chenal de gauche, elle se répartit sur 50 mètres de longueur, dans celui de droite sur une étendue six fois plus grande. C’est à Santo-Antonio que sera établie la tête de ligne inférieure du chemin de fer du Madeira, qui, d’après le plan officiel, devra suivre presque sur tout son parcours la rive droite de la rivière. De la mission de jésuites, qui fut fondée là en 1737, et qui fut plus tard transférée à Trocano et à Borba, il ne reste absolument aucune trace, et l’horizon, de quelque côté qu’on l’interroge, ne trahit pas le moindre vestige humain ; on ne voit que la verdure des hautes futaies tropicales et le fleuve mugissant entre deux remparts de rocs noirâtres.

Après un second rapide peu important, on arrive à la grande chute de Theotonio, dont on aperçoit de fort loin en aval les rejaillissemens de poussière liquide. Ce n’est plus seulement la cargaison, ce sont les canots eux-mêmes qu’il faut, à l’aide de cylindres, transporter sur un sol abrupt et rocailleux jusqu’à une distance de près d’un kilomètre. Ce labeur ne consume pas moins de trois jours entiers. La chute, d’un aspect extraordinairement majestueux, développe ses brisures et ses saccades impétueuses sur toute la largeur du fleuve, qui est de 700 mètres ; la cascade principale, qui précipite son tourbillon près de la rive droite, présente une hauteur de 10 mètres ; un tronc gigantesque des forêts vierges sautille comme un roseau sur ces vagues puissantes. Sur la crête des rochers qui bordent la rive droite, on discerne dans un bouquet de petits palmiers et de cactiers épineux les restes d’un mur de fondation, élevé en 1735 par Theotonio Gusmão, en vue d’un poste militaire qui fut ensuite abandonné. Le Madeira en effet, qui était jadis la route par laquelle le gouvernement portugais communiquait avec la province de Matto-Grosso, a toujours eu grand besoin d’être surveillé par ces sortes de stations permanentes qu’on appelait destacamentos, et qui avaient pour but soit de servir d’entrepôts de vivres, soit d’assister, au passage périlleux des rapides, les équipages des embarcations, soit de défendre les voyageurs contre les attaques des Indiens sauvages.

Au-dessus du rapide suivant, celui de Morrinhos, que les embarcations, une fois déchargées, peuvent aisément franchir au halage, le fleuve acquiert une largeur moyenne de 1,200 à 1, 400 mètres, et demeure parfaitement navigable sur une étendue de 13 lieues et demie, c’est-à-dire jusqu’à l’endroit qui porte le nom sinistre de Caldeirão de Inferno (Gouffre d’Enfer). C’est un des passages les plus mauvais de toute la ligne, — non pas que la hauteur de la chute soit excessive : la différence totale de niveau n’est que de