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cette attitude se devine : le gymnase se félicite d’une séparation qui le met à l’abri d’un voisin incommode ; il sait que l’arrivée d’une quantité d’élèves qui dès le premier jour sont résolus à ne point achever leurs classes serait pour lui une médiocre acquisition. Nous devons d’ailleurs ajouter que, malgré les dissentimens de détail, tout le monde reconnaît qu’il est bon d’ouvrir plusieurs voies à la jeunesse : personne ne songe à revenir en arrière et à refondre ces deux instructions en une seule. C’est même un fait d’expérience que, partout où il existe une realschule et un gymnase, les élèves se séparent sans difficulté dès les premières classes et même dès l’école primaire. C’est ce qu’avait prévu M. Saint-Marc Girardin dans son livre sur l’Instruction intermédiaire. « On ne saurait marquer de trop bonne heure le but de l’éducation… Dès le premier coup de ciseau qu’un sculpteur donne à son marbre, il sait ce qu’il veut en faire. Il doit en être de même pour l’enfant… Quoique Certains objets d’enseignement soient les mêmes, il y a une différence dans la méthode d’enseigner, et l’esprit ne se développe point de la même façon dans l’école élémentaire qui correspond à une école industrielle que dans celle qui correspond à une école classique. »

Cette séparation, pour le dire ici en passant, repose sur un tout autre principe que celle qu’un ministre de l’empire, sous le nom de bifurcation, avait voulu introduire dans nos lycées. Ce qui était contre nature dans la bifurcation de M. Fortoul, c’était la prétention de faire tenir deux séries de classes sur une base commune, et de réunir encore à certaines heures des élèves qui suivaient des directions différentes ; mais ici il y a séparation dès la base, comme elle doit exister dans une société où tout le monde ne suit pas les mêmes voies. J’ai entendu dire parfois qu’une séparation de ce genre était contraire à l’égalité démocratique. Je suis prêt à m’incliner devant cette objection, si l’on me montre que tous nos enfans ont part à l’enseignement secondaire ; mais entre ceux qui vont au lycée et ceux qui, à partir de dix ou douze ans, ne reçoivent d’instruction d’aucune sorte, la bifurcation n’est-elle pas plus profonde ? comme je sortais de la realschule de Mayence en compagnie du directeur, nous fûmes salués dans la rue par un cocher qui était assis sur le siège de sa voiture. « Vous voyez cet homme, me dit M. Schödler, ses deux fils ont suivi chez moi la série complète des classes ; ils sont aujourd’hui premiers commis dans deux maisons de banque. » Valait-il mieux pour eux qu’ils restassent sans moyen d’instruction sous prétexte qu’il est plus conforme à l’égalité d’avoir pour tous les élèves un seul modèle de culture ?