Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 9.djvu/875

Cette page n’a pas encore été corrigée
869
LE MAJOR FRANS

plans de propriétaire pour le relèvement et rembellissement de toute cette grandeur déchue, toujours sous la réserve : si Frances veut bien,… quand une cloche retentit pour annoncer le dîner, et je me hâtai de descendre avec la ponctualité militaire qui était évidemment dans les habitudes de la maison.

J’étais fort curieux de voir si Frances avait daigné faire un brin de toilette. Hélas ! mon espoir fut déçu. Ses magnifiques cheveux étaient négligemment renfermés dans une résille de soie qui semblait prête à crever sous le poids. Elle n’avait pas quitté la vieille blouse couleur pensée qui avait remplacé sa robe d’amazone, et un affreux petit châle défraîchi était noué autour de son cou comme pour en cacher tout exprès l’élégance et la blancheur. S’aperçut-elle de ma déception ? Le fait est que ses beaux yeux me regardaient d’un air qui voulait dire : Mettez-vous bien daus l’esprit que je ne donne rien de l’impression que je peux vous faire !

Du reste elle s’acquitta avec beaucoup de prestesse et de zèle de ses devoirs de dame de maison. Je dus même souffrir qu’elle changeât elle-même les assiettes, vu que Fritz ne reparut plus après qu’il eut apporté les plats. À ma grande surprise, le dîner était abondant et même recherché. Un excellent potage, un roasiheef, des conserves de choix, une poule au riz, le fameux pudding dont Frances avait confectionné la sauce, un dessert complet, c’était là un menu que je ne savais comment concilier avec la gêne évidente de mes hôtes. Les vins de diverses marques, et des plus fines, se succédaient rapidement sous la main généreuse du capitaine et avec des commentaires prolongés de M. von Zwenken sur leur âge, leurs qualités, leurs origines. Habitué, et pour cause, à une grande sobriété, je dus l’affliger plus d’une fois par mon abstinence. Quant à la porcelaine, elle était vieille, ébréchée, et remplacée de temps à autre par de la faïence commune. La nappe, très fine et damassée, représentait le mariage de l’infante d’Espagne et remontait au même temps. Elle avait subi pendant ses années de service plus d’un accroc assez mal réparé. L’argenterie était certainement réduite au nombre indispensable, car Frances renvoya et fit revenir plus d’une fois les mêmes pièces pendant le repas. En revanche, les verres étaient d’une élégance et d’une finesse extrêmes. J’appris du capitaine que le général ne goûtait le bon vin que dans la verrerie de choix, et que comme la demoiselle commandante était sur ce point d’une grande indifférence, c’était lui qui se chargeait de tenir en bon état le buffet de son excellence.

Je remarquai, dans le cours de cette conversation gastronomique, qu’il y avait une lutte latente entre Frances, qui ne buvait que de l’eau, et le capitaine, qui non-seulement ne buvait que du vin,