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sept jours, et le crime de bigamie ou les causes de divorce restent soumis aux mêmes lois que pour les orthodoxes et doivent être jugés par les tribunaux ordinaires. Grâce à ces dispositions, le gouvernement se flatte d’ouvrir l’accès d’une vie conjugale régulière aux adhérens de toutes les sectes sans reconnaître leur culte ni connaître de leur mariage religieux.

Le règlement sur le mariage des dissidens est la plus récente et non la moins significative des réformes d’un règne qui en compte tant ; elle a d’autant plus d’importance qu’elle a été plus disputée, et qu’elle vient dans une période de repos, une période d’accalmie, où l’ère des grandes réformes et des innovations semblait close. S’il ne reconnaît pas les communions dissidentes, l’état en sanctionne indirectement l’existence. Selon le principe de la législation russe en matière religieuse, les bienfaits du nouveau règlement ne s’appliquent qu’aux raskolniks nés dans le raskol, aux 1,100,000 schismatiques admis par les statistiques officielles. Pour ceux-là du moins, c’est une véritable émancipation civile, c’est l’affranchissement d’une des pires servitudes qui puissent peser sur des hommes. Avec la réforme d’octobre 1874, les dissidens ont cessé d’être les parias de la société russe : n’ont-ils plus rien à attendre d’un régime plus libéral ? Les articles du code ou les ordonnances qui s’occupent d’eux n’ont-ils pas vieilli ? Avant de répondre à cette question, il faut connaître une catégorie de sectes que nous n’avons pu aborder aujourd’hui ; il faut descendre dans l’étage inférieur du dissent russe. Au-dessous du vieux-croyant hiérarchique qui repousse les popes du saint-synode, au-dessous du sans-prêtre qui ne reconnaît plus de clergé, il y a des sectes étrangères à la révolte du raskol contre l’église russe, sectes obscures et bizarres, parfois plus gnostiques que chrétiennes, dont le nom a dans ces dernières années pénétré en Europe : les molokanes et les doukhobortsy, dont les tendances rationalistes et communistes montrent le génie russe sous l’un de ses aspects les plus originaux, — les khlysty ou flagellans, et les eunuques ou skoptsy, dont les immorales et sauvages doctrines font retrouver au fond du peuple russe les plus singulières pratiques du vieil Orient. Ce n’est qu’après avoir pénétré dans ce monde nouveau, après avoir parcouru le raskol dans toute son étendue et sa profondeur, qu’il est possible d’apprécier dans l’ensemble la valeur sociale et politique des sectes qui fermentent en Russie.


Anatole Leroy-Beaulieu.