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employés de la police des dialogues de ce genre[1] : — As-tu un passeport ? — Oui, — et le pèlerin présentait une feuille rédigée dans le jargon de la secte avec des prières et des maximes comme la suivante : « celui qui te persécute se prépare une place dans l’enfer. » — D’où tiens-tu ce passeport ? demandait l’agent du gouvernement, désireux de mettre la main sur les chefs et les scribes de la secte. — Il vient du roi des cieux, du puissant monarque du monde, répondait le pèlerin. — Tu n’as point de passeport légal ? — Non. — Pourquoi cela ? — Parce que ces feuilles de la police portent le sceau de l’antechrist. — Les errans désignent ainsi les armes impériales. — Tu veux aller en prison ? reprenait l’interrogateur. — Je suis prêt à tout souffrir ; les tourmens ne m’effraient pas. Je ne crains ni les bêtes féroces, ni les ministres de Satan, — et dans son exaltation le strannik continuait sur ce ton, imitant devant l’ispravnik le langage des premiers chrétiens devant le proconsul, et plus on en condamnait, plus il apparaissait de ces fanatiques, la soif de la persécution, la convoitise du martyre étant pour beaucoup le grand attrait de ces farouches doctrines. C’est aux folies religieuses de cette sorte que la réforme civile et le progrès économique de la Russie devaient le plus certainement porter remède. Le strannitchestvo est la forme la plus logique du raskol, de la bezpopovstchine en particulier ; c’est le suprême effort d’une résistance vaincue, d’une opiniâtreté qui sent tout faiblir autour de soi. Au lieu de rompre à jamais avec elles, le raskol moderne, les sans-prêtres comme les popovtsy sont irrésistiblement poussés à se réconcilier avec la société, avec la civilisation.

Avec les bezpopovtsy, qui n’admettent pas de clergé, comme avec les popotvsy, dont le clergé n’est pas reconnu, le plus grand embarras du gouvernement était de régler l’état civil. Jusqu’à l’automne dernier, jusqu’au mois d’octobre 1874, le clergé détenait seul les registres des naissances et des décès, et, la loi n’admettant que le mariage religieux, les dissidens étaient condamnés à ne contracter que des unions clandestines, à ne donner le jour qu’à des enfans illégitimes, légalement incapables d’hériter de leurs pères. Sous ce rapport, les raskolniks se trouvaient dans la cruelle position où l’ancien régime avait depuis Louis XIV réduit les protestans français. Le législateur, qui reprochait justement à certains sectaires de repousser le mariage, leur en fermait lui-même l’accès. À cet état de choses, qui mettait hors la loi une portion notable de la population, remédiaient heureusement dans la pratique les mœurs publiques, sur ce point moins injustes que la loi, et la

  1. Livanof, Raskolniki i Ostrojniki, t. Ier, p. 6 à 8.