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sur les grands chemins, il y eut les cosaques d’aventure qui entendaient ne dépendre de personne, — les indociles, comme on les appelait par opposition aux guerriers dociles des villes et des châteaux. Aux cosaques de race grande-russienne qui s’étaient établis sur le Don correspondent les cosaques petits-russiens du Dnieper : ces deux républiques guerrières contiennent à l’orient et à l’occident, en se donnant plus d’une fois la main contre elle, la horde des Tatars de Crimée. Ces aventuriers ressemblaient à leurs ennemis musulmans par leur équipement, leur légère monture, leur goût pour les rapides et soudaines irruptions. Ils avaient même emprunté plusieurs termes à la langue militaire des Tatars, donnant le nom d’atamans à leurs chefs, de koch à leur camp, etc. Ils étaient non-seulement d’impétueux cavaliers, mais de redoutables pirates. Avec leurs tchovni, légères pirogues, qui rappelaient les flottilles que les Oleg et les Igor avaient dirigées contre Byzance, ils portaient le ravage sur les côtes de la Crimée, de la Turquie, de l’Anatolie, et s’enhardissaient parfois jusqu’à monter à l’assaut des lourdes, galères ottomanes. Les cosaques miliciens se confondaient avec les populations sédentaires de la Petite-Russie et vivaient de la vie de tout le monde : autres étaient ceux qui s’établirent sur le Bas-Dniéper, au midi de ses porogs ou cataractes, et qui avaient élevé leur setcha ou forteresse dans une des îles de fleuves appelée le Grand-Pré. Autour de cette capitale, ils formaient un état à part, la confrérie ou l’armée des Zaporogues. Pour mieux braver le khan de Crimée et son suzerain le sultan de Constantinople, ils s’étaient retranchés sur une terre dont le Turc et le Tatar revendiquaient la propriété. Protégés au nord par les cataractes, au midi et à l’entour par les bas-fonds et les marais du fleuve, ils étaient, comme les chevaliers de Rhodes ou de Malte, une épée sanglante dans le flanc de l’islamisme. Ils n’obéissaient en somme ni au roi de Pologne, ni au tsar de Moscovie, et, pour se consacrer tout entiers à leur œuvre d’extermination, ils s’étaient volontairement mis hors la loi de tous les états voisins. Quand la chrétienté entière demandait la paix aux musulmans, ces outlaws, abandonnés de tous, continuaient la guerre. Vivant en la présence continuelle de l’ennemi, ils observaient une discipline particulière. Ils n’admettaient point de femmes sur leur territoire, pas même la vieille mère du cosaque. Pour mère, on avait la setcha, pour père le Grand-Pré, pour frères tous les Zaporogues. Parmi eux, il n’y avait que des égaux. Les nobles pans qui venaient partager avec eux leur vie d’aventure devaient oublier leur blason au seuil des porogs : ici on n’estimait un homme qu’à la mesure de sa valeur. Le bâton d’ataman et tous les grades militaires étaient à l’élection.